Rapport méthodologique de la cartographie de l’occupation du sol des basses-terres du Saint-Laurent
Objectif du projet
Depuis 1988, les gouvernements du Canada et du Québec travaillent de concert afin de conserver et de mettre en valeur le fleuve Saint-Laurent dans le cadre du Plan d’action Saint-Laurent (PASL). L’un des projets priorisés sous le thème de la conservation de la biodiversité est l’élaboration d’un plan intégré de conservation des milieux naturels et de la biodiversité du Saint-Laurent.
L’identification des milieux naturels prioritaires pour la conservation de la biodiversité s’est imposée comme la première étape dans cet exercice de planification. Or, la planification de la conservation des milieux naturels nécessite d’avoir une image juste, fiable, précise et actuelle de la répartition spatiale des écosystèmes dans le territoire d’étude. De façon à produire un « Atlas des territoires d’intérêt pour la conservation dans les basses-terres du Saint-Laurent », la réalisation d’une cartographie actualisée de l’occupation du sol de ce vaste territoire a donc été entreprise.
Ce projet a nécessité l’obtention d’informations fiables sur les milieux naturels des basses-terres du Saint-Laurent. Bien que de nombreux produits cartographiques existent déjà pour délimiter différents types de milieux, ils recouvrent souvent des régions bien circonscrites. Il était donc particulièrement important d’obtenir un produit homogène sur l’ensemble du territoire. Cela permet du même coup d’obtenir les meilleures informations sur ses différentes composantes : les milieux agricoles, aquatiques, anthropiques, boisés et humides ainsi que les friches et les sols dénudés. La cartographie de l’occupation du sol des basses-terres du Saint-Laurent est ainsi principalement basée sur un regroupement et une bonification des meilleurs produits existants pour chacune des thématiques. Elle devait également répondre aux critères suivants : temporalité, fiabilité, précision, homogénéité et reproductivité.
La couche d’information géographique résultant de ce processus géomatique pourra servir de guide pour des projets régionaux liés, par exemple, à la conservation de la biodiversité, à l’aménagement du territoire, à la recherche universitaire, ou comme donnée de base visuelle pour des produits cartographiques. Cependant, malgré la haute précision du produit, cette cartographie ne peut servir à soutenir des questions d’ordre légal. Il appartient à l’utilisateur de prendre les précautions qui s’imposent en fonction de l’utilisation qui en est faite.
Zone d’étude
Puisque l’intégrité et la fonctionnalité des milieux naturels du fleuve Saint-Laurent sont étroitement liées à l’état des milieux et aux pressions anthropiques ayant cours dans les territoires adjacents, c’est la portion québécoise de l’écorégion des basses-terres du fleuve Saint-Laurent qui a été retenue en entier pour cette cartographie détaillée. À ce territoire ont été ajoutés deux secteurs adjacents particulièrement importants pour la conservation de la biodiversité et des espèces en péril : le secteur de Covey Hill en Montérégie et l’archipel de L’Isle-aux-Grues en Chaudière-Appalaches. Au total, la zone d’étude représente plus de 3 153 000 ha (31 530 km2) du territoire québécois (figure 1).
Figure 1 : Zone d’étude : basses-terres du Saint-Laurent
Sources des données
L’objectif d’assembler des données actuelles et précises pour chacun des thèmes d’occupation du sol a mené au choix de nombreux jeux de données différents. Il était important que ceux-ci couvrent la zone d’étude en entier pour assurer l’homogénéité des données. Voici les principales sources de données utilisées :
- Base de données des cultures assurées (BDCA) – La Financière agricole du Québec, 2014;
- Base de données topographiques du Québec (BDTQ) – version 2013;
- Cadre de référence hydrographique du Québec (CRHQ) – ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 2013;
- Cartographie des cultures au Canada – Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), 2014;
- Cartographie détaillée des milieux humides (CDMH) – Canards Illimités Canada (CIC) et ministère du développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), de 2010 à 2017 selon le secteur;
- Réseau hydrographique national (RHN) – Ressources naturelles Canada – version 2016;
- Système d’information écoforestière (SIEF), 4e décennal – ministère des Ressources naturelles et Faune du Québec (MRNF), 2006 – version 2014;
- Système de référence linéaire – Transports Québec, 2014.
À ces données s’est ajouté un important travail de photo-interprétation qui a permis à la fois de 1) mettre à jour certaines données désuètes ou erronées ainsi que de 2) combler des secteurs où aucune information n’était disponible.
Méthodologie
Thématiques retenues et sélection des données
Milieu agricole
Ce sont les données de la base de données des cultures assurées (BDCA) 2014 qui constituent la base polygonale des données agricoles. L’information sur le type de culture a été extraite directement de ce jeu de données. Par contre, pour les parcelles dont le type de culture n’était pas divulgué une jointure spatiale avec les données d’AAC 2014 a été réalisée pour leur attribuer une classe de culture.
Milieu humide
Les données de la cartographie détaillée des milieux humides (CIC, MDDELCC) ont été utilisées. Aucune modification n’a été apportée aux données de milieu humide à cette étape.
Milieu boisé
Une extraction des polygones forestiers de la base de données du SIEF 4e décennal a été effectuée. Les informations attributaires ont été conservées pour permettre la reclassification des polygones selon différents critères au besoin.
Sol nu
Une extraction des polygones de gravières et de dénudé sec du SIEF 4e décennal a été effectuée. Plusieurs zones d’affleurements rocheux des données d’AAC 2014 ont également été ajoutées à la cartographie. Les données géospatiales de la cartographie d’AAC provenant d’un traitement automatisé sur des images satellitaires en format matriciel (pixels de 30 m x 30 m), un travail de lissage a été effectué pour obtenir un aspect visuel comparable aux polygones issus des autres jeux de données.
Milieu anthropique
Ce sont les polygones des milieux fortement ou faiblement perturbés par l’activité humaine du SIEF 4e décennal qui ont servi à la sélection des polygones de milieux anthropiques.
Friche/Arbustif
Les polygones liés aux friches des données du SIEF 4e décennal ont été extraits et ensuite liés aux polygones d’arbustes des données d’AAC 2014. Un traitement de lissage a été effectué pour améliorer l’aspect visuel des données.
Eau profonde
Les données polygonales provenant du Cadre de référence hydrographique du Québec (CRHQ) ont été retenues; leur géométrie et leurs informations attributaires ont été conservées.
Routes
Un total de 8 classes principales de routes ont été extraites de la BDTQ. Étant donné que certains tracés linéaires avaient été modifiés dans les dernières années et que de nouvelles routes avaient été construites, certains éléments ont été ajoutés à partir des données du système de référence linéaire de Transports Québec. Les données extraites étant de format linéaire, celles-ci ont été transformées sous forme polygonale en fonction d’une zone tampon prédéfinie. Cette zone a été déterminée selon l’emprise moyenne de chacune des classes de routes en fonction d’une revue de littérature (Jobin et al., 2013).
Superposition des couches d’information
Les données géospatiales des huit grandes thématiques retenues ont été superposées selon une hiérarchie bien précise (figure 2).
Figure 2 : Hiérarchie de la superposition des couches d’information des huit thématiques retenues
Description longue
Figure qui démontre l’ordre hiérarchique précis respecté lors de la superposition des données géospatiales des huit grandes thématiques retenues, allant de la première couche à la dernière : friche / arbustif, sol nu, milieu boisé, milieu anthropique, milieu agricole, eau profonde, milieu humide et route.
La superposition de toutes les couches d’information a mené à de nombreux problèmes de géométrie tout en laissant quelques dizaines de milliers de zones vides. Un protocole a donc été créé dans le logiciel FME Workbench pour automatiser le processus. Celui-ci a permis la mise en commun des couches polygonales et l’élimination des éléments qui se superposent en fonction de la hiérarchie prédéfinie. Le traitement dans le logiciel FME a mené à la création d’une nouvelle couche où les milliers de polygones de plus de 0,5 ha qui n’ont pas d’étiquette ont été isolés en vue de la photo-interprétation à venir.
Classes générales et détaillées
Le choix des classes d’occupation du sol pour cette cartographie est d’abord directement lié aux informations disponibles dans les données sources. Vingt-deux classes dites « générales » ont été produites, représentant la classification de base de la cartographie d’occupation du sol. Les informations attributaires des données sources ont été conservées tout au long des traitements géospatiaux, et un champ « Classe détaillée » a également été ajouté. Ce dernier représente plus d’une cinquantaine de classes dont la nature n’a toutefois pas été systématiquement validée.
Photo-interprétation
L’étape la plus exhaustive de la cartographie de l’occupation du sol des basses-terres du Saint-Laurent (BTSL) a été sans contredit la photo-interprétation. Elle a permis d’abord d’attribuer une étiquette de classe détaillée à chacun des polygones pour lesquels aucune information n’était disponible même à la suite de la superposition de toutes les couches géospatiales utilisées. Elle a également permis de mettre à jour la nature de la classe détaillée de plusieurs habitats qui ont été modifiés dans les dernières années. Au total, la photo-interprétation a permis la modification de l’étiquette de classe détaillée de près de 350 000 polygones pour l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent.
Nettoyage des données et traitements cartographiques
À la suite de l’importante étape de photo-interprétation, plusieurs traitements cartographiques ont été requis avant la création de la géodatabase finale. D’abord, la photo-interprétation a mené à la création de plusieurs polygones agricoles dont le type de culture n’a pu être déterminé. Comme ce fut le cas pour certaines parcelles agricoles provenant de la BDCA, les données d’AAC ont alors été utilisées dans le but de préciser le type de culture lorsque la situation le permettait.
Ensuite, de nombreux traitements géomatiques permettant entre autres de fusionner les polygones voisins aux caractéristiques identiques, d’éliminer les polygones aux superficies quasiment nulles et de corriger les erreurs de géométrie liées aux sommets et arêtes des polygones ont été complétés. De plus, toutes les superpositions, fusions et manipulations cartographiques effectuées précédemment ont mené à certaines erreurs de topologie au sein du jeu de données. Toutes les superpositions et trouées ont ainsi été corrigées à cette étape à partir des outils d’analyse cartographique appropriés.
Une fois la géométrie des polygones corrigée, de nombreux scripts Python ont été créés pour apporter des améliorations finales aux données. Le produit final représente une géodatabase comprenant les données brutes de la zone d’étude en entier ainsi qu’une version divisée par régions administratives.
Résultats
Cartographie
Au total, 12 cartes représentant les classes générales au sein des différentes régions administratives des BTSL ont été produites. Des exemples de l’occupation du territoire selon les classes détaillées sont également présentés pour quatre régions aux milieux variés.
Statistiques
Les superficies relatives de l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent sont présentées selon les classes thématiques, les classes générales et les régions administratives. La majeure partie des BTSL est occupée par les milieux agricoles (39,9 %) avec une importante dominance des cultures annuelles (28,9 %) par rapport aux cultures pérennes (9,3 %). Cette tendance est assez généralisée pour l’ensemble des régions non majoritairement urbanisées qui bordent le fleuve Saint-Laurent.
Statistiques par source de données
De nombreux jeux de données ont été amalgamés pour réaliser la cartographie de l’occupation du sol. L’information sur les sources utilisées a été conservée dans le jeu de données géospatiales et ainsi chaque polygone est lié à la source principale ayant mené à l’attribution de l’étiquette de classe détaillée.
Validation
Méthodologie
Une cartographie d’occupation du sol de l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent de cette ampleur ne peut être infaillible. Afin qu’on puisse s’assurer de la fiabilité des données de la cartographie d’occupation du sol, une validation a été effectuée sur les informations concernant la classe générale. Parmi les 22 classes générales de la cartographie, seule la classe de « Culture indéfinie » n’a pas été validée.
Pour obtenir un échantillon suffisamment important, le nombre de polygones à valider pour chaque classe générale a été fixé à un maximum de 150. Dans le but d’assurer une bonne représentativité de l’ensemble de l’aire d’étude, les polygones à valider ont été sélectionnés selon la proportion de la superficie de chaque région administrative par rapport à la superficie du territoire d’étude en entier. Un script Python a été créé pour permettre la sélection aléatoire des polygones à valider. La photo-interprétation des polygones à valider a été réalisée à partir de photographies aériennes récentes et des images satellites disponibles dans Google Earth. Cette validation a été complétée par une photo-interprète n’ayant pas participé à la réalisation de la classification initiale.
Résultats
Au total, 2 641 polygones ont été validés pour l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent. Un coefficient de précision globale de 94,1 % (Kappa = 92,7 %) a été obtenu pour la validation des classes thématiques. Ce coefficient s’élève toutefois à 84,6 % (Kappa = 83,7 %) pour la validation des classes générales puisque la plupart des erreurs de classification ont été notées entre des classes d’un même thème.
Conclusions et recommandations
Bien que plusieurs traitements automatisés aient été réalisés pour fusionner les polygones de petite taille à leurs polygones voisins de caractéristiques semblables, plusieurs d’entre eux de superficie inférieure à 0,5 ha ont été conservés dans le but de les lier à des informations qui leur sont propres. Par contre, il est fortement recommandé de fusionner les polygones selon leur classe avant d’exécuter des analyses pour réduire considérablement le temps de traitement.
Les données géospatiales sont disponibles en téléchargement pour l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent et par région administrative. En ce qui concerne les régions administratives, les informations comprises à l’intérieur de chacune ont été extraites en plus d’une zone tampon de 10 km autour de la région de façon à faciliter les futures analyses. Dans l’éventualité où un besoin d’analyse couvre plusieurs régions administratives, il est préférable de télécharger la base de données couvrant l’ensemble des basses-terres du Saint-Laurent plutôt que de fusionner les données de plusieurs régions administratives. On évitera ainsi les risques d’erreurs et de dédoublements qui pourraient biaiser certains calculs.
1- Le coefficient Kappa est une mesure de l’accord entre les données classifiées et les données de référence (Jensen, 2005).
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