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Évaluation de la toxicité des sédiments dans l’estuaire moyen du Saint-Laurent

Équipe de réalisation

Ministère du Développement durable de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

  • Mélanie Desrosiers, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec
  • Gaëlle Triffault-Bouchet, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec
  • Nicolas Gruyer, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec

Environnement et Changement climatique Canada

  • Simon Blais, Direction des activités de protection de l’environnement

Remerciements

L’équipe tient à remercier toutes les personnes qui ont participé, de près ou de loin, à la réalisation de l’étude, dont Nicole Perron de Pêches et Océans Canada pour l’échantillonnage des sédiments. Merci aussi au personnel de la Direction de l’analyse chimique et de la Direction des expertises et des études du CEAEQ, du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Cette étude a également profité de l’aide de l’équipe de Mme Paula Jackman, du Laboratoire des essais environnementaux de l’Atlantique d’Environnement et Changement climatique Canada.

L’équipe de travail désire remercier les personnes suivantes pour leurs  commentaires constructifs émis lors de l’élaboration du document ou de l’exercice de révision par les pairs : Lise Boudreau and Pierre Michon (MDDELCC), François Marchand, Jessica Michaud, Suzie Thibodeau et Mario Cormier (ECCC).

Introduction

Au Québec, ce sont des critères d’évaluation de la qualité chimique des sédiments qui constituent le premier outil d’évaluation des effets potentiels des contaminants sur l’environnement [1]. Cependant, au-delà de l’application des critères de qualité, l’intégration des divers outils d’évaluation de la qualité des sédiments, incluant les essais de toxicité, demeure à compléter. Ainsi, il est nécessaire de définir le type d’études requis dans chacun des contextes de gestion pour compléter les évaluations de la contamination des sédiments et du risque écotoxicologique qui y est associé.

Les outils d’évaluation de la toxicité

Dans la zone d’eau douce du Saint-Laurent, l’évaluation du risque écotoxicologique des sédiments potentiellement contaminés est en partie basée sur les résultats de deux essais de toxicité [2]. Il s’agit de tests de survie et de croissance, l’un sur un insecte diptère dont la larve se développe dans les sédiments (Chironomus riparius) [3], et l’autre, sur un petit crustacé amphipode qui vit sur le fond des cours d’eau (Hyalella azteca) [4].

En milieu marin, la toxicité des sédiments peut être évaluée à partir des essais de toxicité recommandés dans le cadre du Programme d’immersion en mer d’Environnement et Changement climatique Canada [5, 6]. Ces essais sont la létalité sur une espèce d’amphipode (espèce à choisir parmi Amphiporeia virginiana, Corophium volutator, Eohaustorius estuarius, Eohaustorius washingtonianus, Foxiphalus xiximeus, Leptocheirus pinguis et Rhepoxynius abronius); la sublétalité, sur l’inhibition de la bioluminescence d’une bactérie (Photobacterium phosphoreum); la croissance chez des oursins (espèce à choisir parmi Strongylocentrotus droebachiensis, Strongylocentrotus purpuratus, Dendraster excentricus, Arbacia punctulata et Lytechinus pictus) ainsi que la croissance d’un polychète (Polydora cornuta).

Les essais de toxicité sont utilisés tant pour la gestion de sites contaminés que pour l’évaluation de sédiments de dragage. Bien qu’il existe plusieurs essais pour évaluer le risque écotoxicologique des sédiments en milieu d’eau douce et en milieu marin, il n’existe pas d’essais adaptés à l’eau saumâtre. Aucun guide ou ligne directrice ne recommande d’essais de toxicité spécifiques pour évaluer la toxicité des sédiments pour l’estuaire moyen, aussi appelé estuaire saumâtre du Saint-Laurent. Cette zone débute à la pointe est de l’île d’Orléans et se termine, sur la rive nord, à l’embouchure du Saguenay et, sur la rive sud, à la pointe ouest de l’île Verte [7] et représente un tronçon d’environ 150 km. Dans cette section de l’estuaire, la salinité de l’eau passe rapidement de moins de 2 ‰ à environ 20 ‰ entre le cap Tourmente et l’île aux Coudres, pour atteindre de 25 à 30 ‰ à Tadoussac [1, 7]. Il est donc apparu nécessaire de statuer sur les essais qui peuvent être utilisés pour évaluer la toxicité potentielle des sédiments de ce secteur saumâtre. Dans ce contexte, la présente étude visait à répondre à la question suivante : Quels sont les essais de toxicité à utiliser pour évaluer l’impact potentiel de sédiments dragués ou déposés dans l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent ?

Pourquoi les amphipodes?

Dans cette étude, deux espèces d’amphipodes ont été sélectionnées, puisque ces organismes sont considérés comme euryhalins, c’est-à-dire qu’ils sont capables de supporter différents degrés de salinité et y survivre.

Parmi les essais de toxicité utilisés en eau douce, celui sur l’amphipode Hyalella azteca pourrait répondre aux besoins d’évaluation des sédiments issus des milieux saumâtres. En effet, il a été démontré que Hyalella azteca pouvait être élevé dans une eau dont la salinité atteint 15 ‰ pour ensuite servir à des essais visant à évaluer la toxicité des sédiments du milieu estuarien [8-11]. D’autres chercheurs ont observé que l’espèce supporte une salinité pouvant atteindre 30 ‰, si les organismes y sont acclimatés graduellement [12]. Cependant, une autre étude indique que les diverses souches de Hyalella ne présentent pas toutes la même tolérance à la salinité [13]. Il convient donc de valider l’emploi de l’espèce pour l’évaluation des sédiments provenant de l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent.

En ce qui concerne les espèces utilisées pour les essais en eau salée, l’amphipode Eohaustorius estuarius est reconnu pour sa tolérance à une très large gamme de salinité (2 à 35 ‰ [6, 14, 15]). Il convient donc de valider son emploi pour l’évaluation de la toxicité des sédiments provenant de l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent.

Les méthodes utilisées

Afin d’évaluer la tolérance à la salinité des deux espèces d’amphipodes retenues, des sédiments non contaminés ont été échantillonnés dans l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent, à l’est de la traverse du Nord (MTM7-5223407, 292305), à 12 m de profondeur. Les sédiments étaient constitués à 100 % de sable moyen et grossier, ils contenaient très peu de matière organique (0,11 %) et la salinité de l’eau interstitielle, soit l’eau dans la matrice de sédiments, était d’environ 2 ‰.

Lors des essais de toxicité, les sédiments provenant de la traverse du Nord ont été recouverts d’eau de différentes salinités pour simuler l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent, et ainsi couvrir toute la plage possible dans la zone, soit de 0 à 30 ‰.

Les amphipodes d’eau douce

L’influence de la salinité sur la survie et la croissance des amphipodes d’eau douce Hyalella azteca a été évaluée au Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (ministère du Développement durable de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques), à l’aide d’une adaptation des méthodes XP T 90-338-1 de l’Association française de normalisation (AFNOR) [16] et SPE 1/RM/33 d’Environnement et Changement climatique Canada1 [4]. Les différents degrés de salinité (0,5, 5, 10, 15, 20 ‰) ont été obtenus en diluant de l’eau marine artificielle (34 ‰), provenant de l’Aquarium du Québec, avec de l’eau douce (eau municipale déchlorée). Les organismes utilisés pour les essais provenaient de l’élevage maintenu au Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec.

Des essais d’acclimatation à la salinité ont été réalisés : les amphipodes ont été transférés dans une eau ayant une salinité de 10 ‰ qui a été par la suite augmentée de 2,5 ‰ par jour, jusqu’à atteindre le degré voulu. La teneur maximale testée a été de 20 ‰. Le taux de survie des amphipodes aux divers degrés de salinité a été déterminé après quatre à sept jours selon le degré de salinité. Après l’obtention des résultats d’acclimatation, les essais de toxicité standardisés mesurant la survie et la croissance après 14 jours d’exposition ont été réalisées à des salinités variant de 0 à 15 ‰ avec de nouveaux organismes, sans acclimatation préalable de ceux-ci [4].

1. Avant décembre 2015 le titre d’usage utilisé pour le ministère était Environnement Canada.

Figure 1 : Amphipode d’eau douce (Hyalella azteca)

Photo : Richard Cardin

Les amphipodes d’eau marine

L’influence de la salinité sur la survie des amphipodes marins (Eohaustorius estuarius) a été évaluée au Laboratoire des essais environnementaux de l’Atlantique (Environnement et Changement climatique Canada, à Moncton) selon le protocole SPE 1/RM/35 [6]. Les différentes salinités de l’eau (0,5, 5, 10, 15, 20 et 25 ‰) ont été obtenues en diluant de l’eau marine artificielle (28 ‰), provenant du Laboratoire des essais environnementaux de l’Atlantique, avec de l’eau douce (eau municipale déchlorée).

Les organismes provenaient de l’institut Northwestern Aquatic Sciences à Newport (Orégon, États-Unis), et avaient été prélevés directement dans le milieu, dans la baie d’Yaquina (Orégon), dont la salinité est de 22 ‰. Les amphipodes ont été acclimatés progressivement aux salinités d’exposition, à raison d’une variation de 5 ‰ par jour, jusqu’à atteindre le degré voulu. Cette salinité était alors maintenue pendant 2 jours avant la réalisation des essais de toxicité standardisés mesurant la survie après 96 h d’exposition [6].

Figure 2 : Amphipode marin (Eohaustorius estuarius)

Crédits photo : Stewart Yee

La réponse des amphipodes à la salinité

Les amphipodes marins E. estuarius ont été acclimatés avec succès pour des salinités variant de 0,5 à 30 ‰, avec un taux de survie d’environ 98 %. Lors des essais de toxicité, les taux de survie d’E. estuarius étaient supérieurs à 96 % pour l’ensemble des degrés de salinité testés (Tableau 1).

Le taux de survie des amphipodes d’eau douce H. azteca lors de la période d’acclimatation n’était que de 78 % à un degré de salinité de 17,5 ‰, et de 16 % à un degré de salinité de 20 ‰. Considérant ces taux de survie, les expérimentations ont été réalisées avec des amphipodes pour des degrés de salinité variant de 0 à 15 ‰. Cette gamme de salinité n’a pas eu d’effet significatif sur la croissance et la survie de H. azteca, les taux de survie étant supérieurs à 85 % et les inhibitions ou stimulations de la croissance, inférieures à 12 %.

Tableau 1 : Survie et inhibition de la croissance de Hyalella azteca et survie d’Eohaustorius estuarius à la suite de l’exposition à différents degrés de salinité

  Hyalella azteca Hyalella azteca Hyalella azteca Eohaustorius estuarius
Salinité (‰) Survie (%) Taille (mm) Inhibition de la croissance (%) Survie (%)
Témoin* 93,3 ± 5,8 2,24 ± 0,09 s.o. 97,0± 6,7
0,5 96,7 ± 5, 2,20 ± 0,02 1,8 98,0 ± 2,7
5 86,7 ± 15,3 2,50 ± 0,02 - 11,6 99,0 ± 2,2
10 100 ± 0 2,44 ± 0,07 - 8,9 99,0 ± 2,2
15 93,3 ± 11,5 2,01 ± 0,05 10,3 97,0 ± 4,5
20 s.o s.o s.o 100 ± 0
25 s.o s.o s.o 96,0 ± 2,2
30 s.o s.o s.o 96 ± 4,2

Recommandations

L’objectif principal de l’étude était de déterminer le ou les essais biologique(s) pouvant être utilisé(s) pour évaluer la toxicité de sédiments contaminés dans l’estuaire saumâtre du Saint-Laurent, de façon à en faciliter la gestion.

D’après les résultats obtenus et les données recueillies dans la littérature, il apparaît que la physiologie des amphipodes H. azteca ne permet pas d’utiliser ces organismes pour des salinités supérieures à 15 ‰. En revanche, l’amphipode E. estuarius a montré de bonnes capacités d’adaptation à une très large plage de salinité, allant de 0,5 ‰ à 30 ‰.

Par conséquent, il faut d’abord déterminer le niveau de salinité moyen du site à l’étude à l’aide de la cartographie du gradient de salinité qui apparaît à la figure 2 du document Critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments au Québec et cadres d’application : prévention, dragage et restauration [1].

Si la salinité du site à l’étude dans l’estuaire saumâtre du fleuve est inférieure ou égale à 15 ‰, la toxicité de sédiments dragués ou déposés dans l’estuaire saumâtre du fleuve peut être évaluée à l’aide des essais suivants :

  • Mortalité de l’amphipode Eohaustorius estuarius selon la méthode d’Environnement et Changement climatique Canada (SPE 1/RM/35, 1998) après acclimatation à la salinité du site à l’étude. Cette acclimatation doit se faire progressivement, en faisant varier la salinité de 5 ‰ par jour et en maintenant le degré de salinité désiré pendant 2 jours avant le début des essais de toxicité.
  • Mortalité et croissance de l’amphipode Hyalella azteca selon la méthode AFNOR (XP T 90-338-1, 2003) ou celle d’Environnement et Changement climatique Canada (SPE 1/RM/33, 2013), avec acclimatation à la salinité du site à l’étude.

Si la salinité du site à l’étude dans l’estuaire saumâtre du fleuve est supérieure à 15 ‰, la toxicité des sédiments peut être évaluée à l’aide des essais suivants :

  • Mortalité de l’amphipode Eohaustorius estuarius selon la méthode d’Environnement et Changement climatique Canada (SPE 1/RM/35, 1998).
  • Survie et de croissance des vers polychètes spionides (Polydora cornuta) selon la méthode d’Environnement et Changement Canada (SPE 1/RM/41). Cet essai, non testé dans la présente étude, a été ajouté dans les recommandations suite à une revue de la littérature scientifique et à une consultation des experts.

Bibliographie

1. Environnement Canada et Ministère du Développement Durable de l'Environnement et des Parcs, 2007. Critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments au Québec et cadres d’application : prévention, dragage et restauration. 39 pages.
2. Ministère du Développement durable de l’Environnement de la Faune et des Parcs du Québec et Environnement Canada, 2013. L’évaluation du risque écotoxicologique (ERE) du rejet en eau libre des sédiments, en soutien à la gestion des projets de dragage en eau douce. 35 pages + annexes.
3. Environnement Canada, Méthode d'essai biologique. Essai de survie et de croissance des larves dulcicoles de chironomes (Chironomus tentans ou Chironomus riparius) dans les sédiments - EPS 1/RM/32, 1997, Rapport Technique, Environnement Canada : Ottawa, Canada.
4. Environnement Canada, 2013. Méthode d’essai biologique : essai de survie et de croissance de l’amphipode dulcicole Hyalella azteca dans les sédiments et l’eau. Série de la protection de l’environnement, Ottawa, rapport SPE 1/RM/33, deuxième édition – janvier 2013, 106 pages et annexes.
5. Environnement Canada, 2015. Méthode d’essai biologique : essais de toxicité sublétale en vue de l’évaluation des sédiments destinés à l’immersion en mer (SPE 1/RM/40).
6. Environnement Canada, 1998. Méthode d’essai biologique : méthode de référence pour la détermination de la létalité aiguë d’un sédiment pour des amphipodes marins ou estuariens (SPE 1/RM/35).
7. Centre Saint-Laurent, 1996. Rapport-synthèse sur l’état du Saint-Laurent. Volume 1 : L’écosystème du Saint-Laurent. Environnement Canada – région du Québec, Conservation de l’environnement, Éditions MultiMondes, Montréal, Québec. Coll. (Bilan Saint-Laurent).
8. Ingersoll, C.G., et coll., 1992. The use of freshwater and saltwater animals to distinguish between the toxic effect of salinity and contaminants in irrigation drain water. Environmental Toxicology and Chemistry, 11 : 503-511.
9. McGee, B.L., C.E. Schlekat, et E. Reinharz, 1993. Assessing sublethal levels of sediment contamination using the estuarine amphipod Leptocheirus plumulosus. Environmental Toxicology and Chemistry, 12 : 577-587.
10. United States Environmental Protection Agency, 1994. Methods for measuring the toxicity and bioaccumulation of sediment-associated contaminants with freshwater invertebrates, EPA 600/R-94/024. USEPA, Duluth, MN.
11. United States Environmental Protection Agency, 2000. Methods for measuring the toxicity and bioaccumulation of sediment-associated contaminants with freshwater invertebrates (Second Edition) EPA-600/R-99/064. Office of Reseach and Development, Mid-Continent Ecology Division, and Office of Science and Technology, Office of Water, USEPA, Washington, DC.
12. de March, B.G.E., 1981. Hyalella azteca (Saussure), dans Manual for the Culture of Selected Freshwater Invertebrates. Publication spéciale canadienne des sciences halieutiques et aquatiques n°54, ministère des Pêches et des Océans, Ottawa, Ontario.
13. Borgmann, U., 2002. Toxicity test methods and observations using the freshwater amphipod, Hyalella, Collection de l'INRE n° 02-332. Institut national de recherche sur les eaux, Environnement Canada, Burlington, Ontario.
14. DeWitt, T.H., R.C. Swarts, et J.O. Lamberson, 1989. Measuring the acute toxicity of estuarine sediments. Environmental Toxicology and Chemistry, 8 : 1035-1048.
15. United States Environmental Protection Agency, 1994. Methods for assessing the toxicity of sediment-associated contaminants with estuarine and marine amphipods. Rapport EPA 600/R-94/025, juin 1994, USEPA, Office of Research and Development, Narragansett, RI.
16. Association française de normalisation, 2003. Qualité de l’eau- Détermination de la toxicité des sédiments d’eau douce vis-à-vis de Hyalella azteca. Rapport technique XP T 90-338-1. Paris, France.