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Concentrations de médicaments, d’hormones et autres contaminants

AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE L'EAU 

Concentrations de médicaments, d’hormones et de quelques autres contaminants d’intérêt émergent dans le Saint-Laurent et dans trois de ses tributaires 

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Problématique

Une part importante des produits pharmaceutiques et de soins personnels (PPSP) que nous utilisons couramment, comme les crèmes hydratantes pour la peau, les shampoings et les dentifrices, se transfère dans l’eau au moment de la douche ou d’autres pratiques d’hygiène. D’autres produits, comme les médicaments pris par voie orale, sont en grande partie éliminés dans les excrétions humaines et se retrouvent eux aussi dans les eaux usées domestiques. Les industries où sont fabriquées ces substances et la disposition inappropriée des produits non utilisés (ex. : médicaments jetés dans les toilettes) sont d’autres sources de PPSP dans les eaux usées industrielles et municipales.

Les stations municipales de traitement des eaux usées éliminent partiellement les PPSP et les utres substances complexes qui leur sont acheminés. Cette élimination incomplète varie cependant en fonction des substances et du type de traitement des eaux usées. Une fraction de ces substances se retrouve donc dans l’effluent final des stations de traitement et est rejetée dans les cours d’eau récepteurs, comme le fleuve Saint-Laurent. 

La présence de PPSP dans les cours d’eau en aval des agglomérations urbaines est une réalité connue depuis plus de trente ans. On y détecte aussi des hormones, comme les oestrogènes et la testostérone, ainsi que des produits du métabolisme, comme le cholestérol. Ces substances communes à la majorité des organismes du règne animal sont aussi trouvées en aval des élevages d’animaux de ferme. 

Au Québec comme ailleurs, des échantillonnages réalisés dans les dernières décennies ont permis de déceler la présence de nouveaux contaminants dans les cours d’eau et d’y constater de nouveaux effets sur les organismes aquatiques. Par exemple, dans le fleuve Saint-Laurent en aval de Montréal, on a constaté que des poissons et des moules d’eau douce se féminisaient (Aravindakshan et al., 2003; Blaise et al., 2003). Ce phénomène est attribuable à la présence dans l’eau d’hormones naturelles ou de synthèse, ou de produits chimiques pouvant agir comme des hormones, c’est-à-dire des « perturbateurs endocriniens ».

Photo : © 2001, Denis Chabot, Le monde en images, CCDMD. Les agglomérations urbaines, comme celle de Montréal, sont des sources de PPSP et d’autres contaminants d’intérêt émergent dans les cours d’eau.

Photo : © 2001, Denis Chabot, Le monde en images, CCDMD.

Les agglomérations urbaines, comme celle de Montréal, sont des sources de PPSP et d’autres contaminants d’intérêt émergent dans les cours d’eau.

Depuis la fin des années 1990, les autorités gouvernementales ont élargi leur mandat de surveillance de la qualité de l’eau pour inclure un nombre croissant de contaminants d’intérêt émergent, dont certains sont des perturbateurs endocriniens. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec (MDDELCC) et Environnement Canada ont réalisé des échantillonnages pour vérifier la présence de plusieurs de ces substances dans le fleuve Saint-Laurent et dans certains de ses tributaires. Cette fiche présente les résultats obtenus par ces deux organismes relativement aux PPSP, aux hormones et à quelques autres contaminants d’intérêt émergent. Elle fait suite à une première publication qui portait principalement sur la présence de ces produits dans l’eau potable et à l’effluent de stations municipales de traitement des eaux usées (MDDEP, 2011).

Méthodologie 

Les données d’Environnement Canada et du MDDELCC regroupées dans la présente étude proviennent de onze sites d’échantillonnage, soit huit dans le Saint-Laurent et un à l’embouchure des rivières des Outaouais, Richelieu et Saint-Maurice. La localisation de ces sites d’échantillonnage et celle des rejets majeurs d’eaux usées traitées dans le territoire à l’étude sont présentées à la figure 1.

 Figure 1. Localisation des stations d’échantillonnage

Figure 1. Localisation des stations d’échantillonnage

Sauf pour le Saint-Maurice, qui a été échantillonné à 4 reprises, les sites d’Environnement Canada ont été échantillonnés de 10 à 14 fois entre novembre 2006 et mars 2010. Les sites du MDDELCC ont été échantillonnés à 6 reprises, sur une base mensuelle, de mai à octobre 2009. Toutes les analyses des contaminants ont été réalisées au laboratoire du Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec du MDDELCC, avec des limites de détection de l’ordre des nanogrammes par litre (ng/l). La liste des limites de détection propres à chacun des produits analysés est présentée dans le tableau 1. 

Cette fiche présente les résultats obtenus pour 44 substances, soit 30 PPSP, 6 hormones, le cholestérol et 3 de ses produits de dégradation, la caféine, le TriclosanMD et le chlorophène (des agents antibactériens) ainsi que le bisphénol A (un plastifiant). Pour presque toutes ces substances, il n’existe pas de critères de qualité de l’eau avec lesquels les concentrations mesurées peuvent être comparées dans le but d’évaluer le potentiel d’effets nuisibles sur les organismes aquatiques. Pour cette raison, les résultats d’analyse sont comparés avec les concentrations donnant lieu à des effets toxiques, selon la documentation scientifique, ainsi qu’aux concentrations mesurées ailleurs, dans d’autres cours d’eau, en Amérique du Nord et en Europe.

La comparaison avec les seuils d’effets toxiques est une façon d’évaluer, comme première approximation, si les concentrations mesurées dans le Saint-Laurent et dans certains de ses tributaires peuvent être dommageables pour les organismes qui y vivent. La comparaison avec les concentrations mesurées dans d’autres cours d’eau vise à établir le niveau de contamination du Saint-Laurent par rapport à celui d’autres grands cours d’eau. Les limites de détection de la présente étude (ng/l) sont suffisamment basses pour permettre ces comparaisons, car la très grande majorité des études toxicologiques et des suivis environnementaux des PPSP ont été réalisés à des concentrations du même ordre de grandeur ou plus élevées.

Portrait de la situation 

Le tableau 1 résume les résultats obtenus pour les 44 produits analysés. Des concentrations supérieures aux limites de détection ont été obtenues pour 21 d’entre eux, soit 4 analgésiques/anti-inflammatoires, 5 antibiotiques, 5 hormones, le cholestérol et ses 3 produits de dégradation, la caféine, le Triclosan et le bisphénol A. Les figures 2 et 4 à 7 illustrent les résultats obtenus pour les produits détectés fréquemment. Pour ces figures, les valeurs sous les limites de détection ont été remplacées par la moitié de cette limite.

Tableau 1. Substances analysées et sommaire des résultats.
SubstanceLDM
(ng/l)
Nombre
d’échantillons
Fréquence de
détection (%)
Intervalle de
concentration
(ng/l)
Analgésiques/anti-inflammatoires
Acétaminophène205680< 20 – 500
Ibuprofène69163< 6 – 90
Naproxène209129< 20 – 83
Acide salicylique1559116< 55 – 130
Diclofénac5910
Fénoprofène7 – 11910
Indométacine10910
Kétoprofène6910
Antibiotiques
Chlortétracycline10 – 40565,4< 10 – 270
Tylosine2563,6< 2 – 34
Érythromycine20 – 200561,8< 20 – 210
Sulfaméthoxazole10561,8< 10 – 10
Tétracycline20 – 100561,8< 20 – 700
Monensin40 – 200560
Narasin50 – 100560
Norfloxacine10560
Oxytétracycline20560
Roxithromycine10560
Sulfadiméthoxine4560
Sulfaméthazine5560
Sulfaméthizole5560
Sulfathiazole20560
Triméthroprime10560
Hypolipidémiants et autres médicaments
Acide clofibrique5910
Bézafibrate9910
Fénofibrate10 – 11910
Gemfibrozil5910
Carbamazépine (antiépileptique)5910
Fluoxétine (antidépresseur)10560
Pentoxifylline (traite la claudication)23910
Hormones et cholestérol
Estradiol-17ß21 – 1,51047,7< 1 – 11
Estrone20,5 – 0,71045,8< 0,5 – 5,6
Estriol22 – 2,51043,8< 2 – 17
Testostérone24 – 5,11041,9< 4 – 9,8
17A-éthynylestradiol (contraceptif)2 – 2,51041,9< 2 – 3,1
Mestranol (contraceptif)8910
Cholestérol0,5 – 0,710495< 0,5 – 1000
Coprostan-3-ol34 – 5,110483< 4 – 360
Coprostan-3-one34 – 5,110446< 4 – 91
Coprostan31 – 1,710416< 1 – 20
Autres
Caféine139185< 13 – 950
Triclosan (désinfectant)69147< 6 – 34
Chlorophène (désinfectant)7 – 13910
Bisphénol A (plastifiant)0,5 – 2,510380< 0,5 – 90

LDM : limite de détection de la méthode

  1. Les résultats analytiques comprennent l’acide acétylsalicylique et l’un de ses métabolites, l’acide salicylique, qui ne sont pas différenciables par la méthode d’analyse utilisée.
  2. De source naturelle (humaine ou animale) ou synthétique (contraceptif ou thérapie hormonale).
  3. Dérivé du cholestérol.

Analgésiques/anti-inflammatoires

L’acétaminophène (ex. : TylenolMD) est l’analgésique le plus souvent détecté, dans quatre échantillons sur cinq, suivi de l’ibuprofène (ex. : AdvilMDm, MotrinMD), dans les deux tiers des échantillons, du naproxène (ex. : AnaproxMD), dans le tiers des échantillons, et de l’acide salicylique (ex. : AspirinMD), dans un échantillon sur six. Il n’est pas surprenant que l’acétaminophène et l’acide salicylique fassent partie des substances les plus détectées dans le fleuve Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude puisqu’ils se retrouvent dans la liste des dix produits pharmaceutiques les plus vendus sur ordonnance au Canada. Ces substances sont aussi des médicaments en vente libre, et la quantité vendue de cette façon est grandement supérieure à celle des produits délivrés sur ordonnance.

La figure 2 illustre les concentrations mesurées aux différentes stations d’échantillonnage pour les 4 analgésiques/antiinflammatoires détectés. L’acétaminophène présente des concentrations plus élevées que les autres produits, avec des médianes par station de 77 à 250 ng/l, sauf en amont de Trois-Rivières, où 5 échantillons sur 6 sont sous la limite de détection de 20 ng/l. Pour les 3 autres produits, la médiane par station la plus élevée est de 61,5 ng/l (naproxène à Lavaltrie). Sauf pour cette valeur, toutes les médianes pour le naproxène et l’acide salicylique sont inférieures aux limites de détection respectives de 20 et 55 ng/l.

 Figure 2. Concentrations minimales, maximales et médianes des analgésiques et anti-inflammatoires les plus souventdétectés aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Figure 2. Concentrations minimales, maximales et médianes des analgésiques et anti-inflammatoires les plus souvent détectés aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

La grande agglomération de Montréal fait augmenter les concentrations d’acétaminophène et d’ibuprofène dans le Saint-Laurent. La figure 2 montre en effet que les fréquences de détection et les concentrations de ces produits sont plus élevées en aval de la métropole (stations de Lavaltrie et de Tracy) qu’en amont (stations de la rivière des Outaouais et de Montréal). Trois-Rivières semble avoir un effet similaire, quoique moins marqué, car les valeurs à la station de Champlain sont plus élevées que celles à la station de Trois-Rivières. À Lévis, les concentrations sont similaires à celles mesurées en aval de Trois-Rivières. 

La station de Varennes est située à 5,5 km en aval du point de rejet des eaux usées de la ville de Montréal. Cependant, les faibles concentrations mesurées de tous les produits analysés portent à croire que cette station était en dehors du panache de dispersion de l’effluent de la ville. 

La figure 2 montre que le profil des concentrations de naproxène est similaire à ceux de l’acétaminophène et de l’ibuprofène, sauf que l’effet de Trois-Rivières est peu marqué. Pour l’acide salicylique, il y a peu de différences entre les différentes stations situées le long du corridor fluvial. 

Sauf pour l’ibuprofène et le naproxène dans le Richelieu, les concentrations mesurées dans les trois tributaires à l’étude sont relativement basses (figure 2). D’ailleurs, dans le Saint-Maurice, à la prise d’eau de Trois-Rivières, tous les résultats d’analyse sont inférieurs aux limites de détection.

Des études ont été réalisées sur la toxicité des analgésiques/anti-inflammatoires, à l’aide de tests standardisés utilisés fréquemment en toxicologie aquatique. Ces tests, réalisés en laboratoire, visent à établir la concentration du contaminant d’intérêt qui est requise pour provoquer l’arrêt de la croissance ou de la reproduction, ou encore la mort de l’organisme testé. Des protocoles ont été conçus pour différents organismes, dont l’algue unicellulaire Scenedesmus spicatus, le crustacé Daphnia magna et le poisson medaka Orysias latipes. Des études démontrent que les concentrations d’analgésiques/anti-inflammatoires pouvant causer ce type d’effets toxiques, avec les organismes testés, sont de l’ordre des ug/l ou des mg/l (Santos et al., 2010; Corcoran et al., 2010). Ces concentrations sont plus élevées que celles mesurées dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude, qui sont de l’ordre des ng/l. Toutefois, à ces concentrations plus basses, la possibilité d’effets plus subtils ou indirects ne peut être exclue, comme on l’explique plus loin dans la section « Perspectives ».

Les concentrations des analgésiques/anti-inflammatoires détectés dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude sont du même ordre de grandeur que celles rapportées pour des cours d’eau aux États-Unis, en Allemagne et au Canada (figure 3). Dans ces pays, à des limites de détection similaires à celles de la présente étude, on a aussi détecté du diclofénac, du fénoprofène, de l’indométacine et du kétoprofène, qui sont des médicaments analysés mais non détectés dans la présente étude.

Christian DeBlois, Centre d’expertise en analyse environnementale

Photo : Christian DeBlois, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ)

Le technicien place les échantillons destinés à l’analyse des antibiotiques dans un appareil de chromatographie liquide couplé à un spectromètre de masse en tandem. Les analyses sont réalisées au Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ) du MDDELCC

Antibiotiques et autres médicaments

Seulement 5 des 15 antibiotiques analysés ont été détectés, et ce, dans quelques échantillons seulement. Dans les 56 échantillons analysés pour ces substances, la chlortétracycline a été détectée dans 3 échantillons, la tylosine dans 2, alors que l’érythromycine, la sulfaméthoxazole et la tétracycline n’ont été détectées qu’une fois chacune. 

La chlortétracycline, l’érythromycine et la tétracycline n’ont pas été détectées souvent, mais comme le montre le tableau 1, des échantillons positifs pour ces substances présentaient des concentrations relativement élevées, soit 270, 210 et 700 ng/l, respectivement. Ces valeurs maximales demeurent toutefois inférieures à celles pouvant provoquer les effets toxiques mesurés par les tests standardisés mentionnés précédemment, ces concentrations seuils étant de l’ordre des centaines de ?g/l ou des mg/l (Santos et al., 2010; Corcoran et al., 2010).

Cependant, à des concentrations plus basses, la possibilité d’effets plus subtils et indirects ne peut être exclue, pour les raisons invoquées plus loin dans la section « Perspectives ». 

La présente étude comprenait la mesure de quatre hypolipidémiants, des médicaments servant à réduire le taux de cholestérol dans le sang : l’acide clofibrique, le bézafibrate, le fénofibrate et le gemfibrozil. Les analyses visaient également la carbamazépine, un antiépileptique, et la fluoxétine, un antidépresseur. Aucun de ces produits n’a été détecté dans le Saint-Laurent et dans ses trois tributaires à l’étude, alors qu’ils ont été fréquemment détectés ailleurs en Amérique du Nord et en Europe à des concentrations plus élevées que les limites de détection de la présente étude (figure 3).

 

 Figure 3. Concentrations maximales (ng/L) demédicaments et d’hormones mesurées dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude ainsi qu’ailleurs en Amérique du Nord et en Europe.

Figure 3. Concentrations maximales (ng/L) de médicaments et d’hormones mesurées dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude ainsi qu’ailleurs en Amérique du Nord et en Europe.

Hormones et cholestérol

Comme les antibiotiques et d’autres médicaments, les six hormones analysées n’ont pas été détectées souvent, en fait dans 0 à 8 % des échantillons, selon l’hormone. Les limites de détection pour les hormones sont basses (de 0,5 à 8 ng/l), mais ces substances sont aussi présentes à de très faibles concentrations, la concentration maximale obtenue étant de 17 ng/l pour l’estriol (tableau 1). Au total, il y a eu 22 détections, réparties à 5 stations d’échantillonnage. Aucune hormone n’a été détectée en amont de Montréal (stations de la rivière des Outaouais et de Montréal). Le nombre de détections est un peu plus élevé en aval de Montréal (Lavaltrie) et à Québec.

Les hormones d’origine naturelle, soit le 17ß-estradiol, l’estriol, l’estrone et la testostérone, cumulent 20 des 22 détections. L’hormone synthétique 17A-éthynylestradiol, utilisée notamment dans les contraceptifs, n’a été détectée que 2 fois, à Lévis, à des concentrations de 3,0 et 3,1 ng/l. Ces concentrations sont plus élevées que les critères de qualité de l’eau pour cette substance adoptés par la Colombie-Britannique (0,5 et 0,75 ng/l, respectivement pour l’exposition chronique et l’exposition aiguë) et par la Commission européenne (0,035 ng/l.) La limite de détection de la méthode d’analyse (2,0 ou 2,5 ng/l selon l’échantillon) étant plus élevée que ces critères, il est possible que des échantillons en dépassement de critères soient passés inaperçus.

Le cholestérol est un lipide que l’on retrouve chez tous les animaux. C’est à la fois un constituant des cellules et un élément clé de diverses voies métaboliques. Le coprostan, mesuré ici sous différentes formes, est un sous-produit de la digestion partielle du cholestérol par les organismes vivants, dont l’homme. Compte tenu de son omniprésence dans le monde animal, il n’est pas étonnant que le cholestérol ait été détecté dans presque tous les échantillons (95 %) de la présente étude, en concentrations un peu plus élevées en aval de Montréal. Les concentrations médianes à 9 des 11 stations de la présente étude se situent entre 37 et 111 ng/l et les concentrations maximales, entre 96 et 429 ng/l (figure 4). Les concentrations sont plus élevées à Lavaltrie (médianes de 213 et maximum de 1 450 ng/l) et plus basses à la station de Trois-Rivières (médianes et maximum de 0,25 et 14 ng/l respectivement).

 

Figure 4. Concentrations minimales, maximales et médianes du cholestérol et ses dérivés aux sites de suividu Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.the St. Lawrence River and at three of its tributaries.

Figure 4. Concentrations minimales, maximales et médianes du cholestérol et ses dérivés aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Caféine 

La caféine entre dans la composition de certains médicaments, mais sa présence dans les eaux de surface est principalement liée à la consommation de café et d’autres boissons caféinées. Présent dans 85 % des échantillons, ce produit a été détecté plus fréquemment et en plus fortes concentrations que les autres substances, à l’exception de l’acétaminophène, du cholestérol et de l’un de ses produits de dégradation. Les concentrations de caféine varient d’inférieures à la limite de détection de 13 ng/l à 950 ng/l, avec des médianes par station qui varient d’inférieures à la limite de détection à 495 ng/l. Comme pour d’autres substances, les fréquences de détection et les concentrations tendent à être plus élevées en aval de Montréal et de Trois-Rivières ainsi qu’à Québec (figure 5).

Les concentrations de caféine mesurées dans le Saint-Laurent et ses trois tributaires à l’étude sont grandement inférieures à celles qui peuvent être directement toxiques pour les organismes aquatiques, qui sont de l’ordre des centaines de mg/l pour la toxicité aiguë et des dizaines de mg/l pour la toxicité chronique (EPA, 2012). Cependant, comme pour les autres substances détectées et comme expliqué à la fin de cette fiche dans la section « Perspectives », la possibilité d’effets subtils ou indirects ne peut être exclue.

 

Figure 5. Concentrations minimales, maximales et médianes de la caféine aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Figure 5. Concentrations minimales, maximales et médianes de la caféine aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Triclosan 

Le Triclosan est un agent de conservation antibactérien et antifongique utilisé dans des médicaments et dans plusieurs produits de soins personnels et de nettoyage : crèmes et lotions pour le visage, les mains ou le corps, désodorisants, parfums, crèmes solaires, produits de rasage, shampoings, produits nettoyants ou désinfectants pour les mains, dentifrices, etc. On l’utilise également pour contrôler la croissance des micro-organismes sur les textiles, le papier, le cuir, le plastique et le caoutchouc. Cette substance a été évaluée en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement . L’évaluation a conclu que ce produit se trouve dans (1999) l’environnement canadien en concentrations qui pourraient être nocives pour les organismes des milieux aquatique et terrestre. Pour cette raison, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de prendre des mesures pour faire diminuer les concentrations de Triclosan dans l’environnement, mais ces mesures n’étaient pas encore en vigueur au moment de la rédaction de la présente fiche d’information.

Le Triclosan a été détecté dans près de 50 % des échantillons prélevés dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude, à des concentrations variant entre la limite de détection (13 ng/l) et 34 ng/l. Les fréquences de détection et les concentrations sont faibles en amont de Montréal et dans les tributaires, et plus élevées en aval de Montréal, ainsi qu’en amont et en aval de Trois-Rivières et à Québec (figure 6). La concentration maximale de Triclosan mesurée dans la présente étude (34 ng/l) est inférieure au seuil d’effets sur les organismes aquatiques de 115 ng/l retenu par Santé Canada et Environnement Canada (2012) dans leur évaluation de cette substance. Selon cette source, des effets sur les fonctions thyroïdiennes des amphibiens ont été constatés à des concentrations de 30 à 300 ng/l, mais sur les 91 échantillons analysés dans la présente étude, un seul, titrant à 34 ng/l, a atteint cette gamme de concentrations.

 Figure 6. Concentrations minimales, maximales et médianes du Triclosan aux sites de suivi du Saint-Laurent et de troisde ses tributaires.

Figure 6. Concentrations minimales, maximales et médianes du Triclosan aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Bisphénol A

Le bisphénol A est utilisé principalement pour la production de plastiques de type polycarbonate et de résines époxydes. Ces substances entrent dans la fabrication d’une grande variété de produits : disques compacts, contenants pour les aliments et les boissons, conduites d’eau, boîtiers d’appareils électroniques, équipements électriques, enduits pour l’intérieur des boîtes de conserve et le béton, pièces d’automobile, etc. Le bisphénol A est produit et utilisé en grande quantité et l’évaluation réalisée en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement a conclu que ce produit est toxique, ce qui a mené à la (1999) mise en place de mesures visant à diminuer l’exposition des personnes et des écosystèmes à cette substance (Environnement Canada et Santé Canada, 2008). L’une de ces mesures, entrée en vigueur le 11 mars 2010, est l’interdiction du bisphénol A dans les biberons dans le but de diminuer l’exposition des nouveau-nés à cette substance.

Le bisphénol A a été détecté dans 80 % des échantillons prélevés dans le Saint-Laurent et ses tributaires à l’étude, à des concentrations variant entre la limite de détection de 0,6 ng/l et 90 ng/l. Les médianes par station se situent entre 0,3 et 11 ng/l. Le profil de concentrations plus élevées en aval de Montréal, de Trois-Rivières et à Québec, constaté pour d’autres substances, n’est ici remarquable que dans les concentrations maximales (figure 7). On a enregistré des concentrations maximales de 90, de 42 et de 46 ng/l à Lavaltrie, à Bécancour et à Lévis respectivement. Ces concentrations sont toutes grandement inférieures au critère chronique de 20 ?g/l du MDDELCC pour la protection de la vie aquatique (MDDEP, 2012) et inférieures à la « concentration estimée sans effet » de 175 ng/l retenue par le gouvernement fédéral dans son évaluation du bisphénol A.

 Figure 7. Concentrations minimales, maximales et médianes du bisphénol A aux sites de suivi du Saint-Laurent et detrois de ses tributaires.

Figure 7. Concentrations minimales, maximales et médianes du bisphénol A aux sites de suivi du Saint-Laurent et de trois de ses tributaires.

Perspectives 

Plusieurs des PPSP, des hormones et d’autres contaminants d’intérêt émergent analysés dans la présente étude ont été détectés dans le Saint-Laurent et ses trois tributaires à l’étude, à des concentrations de l’ordre des nanogrammes par litre. En général, les concentrations obtenues étaient comparables ou inférieures à celles mesurées dans d’autres cours d’eau en Amérique du Nord ou en Europe et étaient similaires à celles mesurées dans d’autres cours d’eau du Québec (MDDEP, 2011). Dans le Saint-Laurent, on constate que le nombre et les concentrations de produits détectés sont plus élevés en aval ou à proximité des agglomérations urbaines de Montréal, de Québec et de Trois-Rivières (figure 8).

 Photo : Christiane Hudon, Centre Saint-LaurentAprès traitement, les eaux usées de la ville de Montréal sont rejetéesdans le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de l’île aux Vaches. Lesflèches jaunes indiquent la position du panache de diffusion des eauxtraitées.

Photo : Christiane Hudon, Centre Saint-Laurent après traitement, les eaux usées de la ville de Montréal sont rejetées dans le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de l’île aux Vaches. Les flèches jaunes indiquent la position du panache de diffusion des eaux traitées.

Figure 8. Nombre de produits détectés par catégorie aux différentes stations d’échantillonnage.

Figure 8. Nombre de produits détectés par catégorie aux différentes stations d’échantillonnage.

Les concentrations de PPSP et des autres contaminants d’intérêt émergent mesurées dans la présente étude sont inférieures à celles qui peuvent causer les effets toxiques mesurés par les tests de toxicité standardisés. Cependant, ce constat ne doit pas être considéré comme une preuve d’innocuité des substances détectées, pour les raisons suivantes.

  • Des études ont démontré que des PPSP et d’autres contaminants d’intérêt émergent peuvent avoir des effets sur les poissons et d’autres organismes aquatiques, même lorsqu’ils sont présents dans l’eau en faibles concentrations. À titre d’exemple, exposer le poisson medaka à environ 1 ?g/l d’ibuprofène a été suffisant pour causer une augmentation du poids du foie des femelles et une diminution de celui des mâles (Flippin et al., 2007). Par ailleurs, 1,8 ?g/l de benzodiazépine, un médicament contre l’anxiété, a causé des changements dans le comportement des perches d’Europe : les spécimens exposés sont devenus plus actifs, moins sociables et s’alimentaient davantage (Brodin et al., 2013). Ce type d’effets et les concentrations requises pour les induire ne sont pas connus pour tous les PPSP et autres contaminants d’intérêt émergent.
  • L’action conjuguée des différentes substances présentes dans le milieu est peu connue. Prise individuellement, chacune des substances pourrait se trouver en concentration inférieure à son seuil d’effets, mais l’action combinée des différents produits pourrait mener à des effets sur les organismes. Il faut rappeler qu’en aval des agglomérations urbaines, les poissons et autres organismes aquatiques sont exposés simultanément à plusieurs PPSP, à des hormones et à de nombreux autres produits : surfactants (ex. : nonylphénols éthoxylés), produits ignifuges (ex. : PBDE), enduits protecteurs (ex. : PFOS, PFOA), etc. Plusieurs de ces produits sont des perturbateurs endocriniens dont les effets conjugués demeurent méconnus.
  • Pour l’essentiel, la présente étude n’a porté que sur des substances mères, mais une fois dans le milieu aquatique, ces substances peuvent se transformer et se retrouver sous une forme toujours toxicologiquement active, mais non détectée par les méthodes classiques d’analyse. Il n’existe pas de méthode d’analyse permettant de détecter tous les sous-produits de la dégradation des PPSP et des autres contaminants d’intérêt émergent. De fait, ces sous-produits ne sont pas tous connus.

Grâce à de récents développements technologiques, il est maintenant possible de détecter et de suivre les PPSP et d’autres nouvelles substances dans l’environnement. Les programmes de surveillance et de suivi doivent être mis en oeuvre ou poursuivis, selon le cas, pour connaître le comportement chimique et le devenir des contaminants d’intérêt émergent dans le milieu aquatique, en particulier à proximité des régions urbaines.

Mesures clés

L’établissement de critères de la qualité de l’eau pour un plus grand nombre de contaminants d’intérêt émergent est essentiel à une évaluation appropriée des risques associés à la présence de ces substances dans les eaux de surface. Les critères de qualité de l’eau sont des seuils ou des recommandations qui permettent d’évaluer si les différents usages de l’eau sont compromis par la présence d’une substance. Les critères ne sont pas des normes et n’ont donc pas force de loi. Ils servent toutefois de référence pour évaluer la santé des écosystèmes aquatiques. Toute substance dont la concentration dépasse le critère est susceptible de causer un effet indésirable sur une composante de l’écosystème. Or, il n’y a que très peu de contaminants d’intérêt émergent pour lesquels on possède des critères de qualité de l’eau, car leur toxicité et leur action endocrinienne ne sont pas suffisamment connues. Parmi les produits couverts par cette étude, il n’y a de critères disponibles que pour le 17A-éthynylestradiol et le bisphénol A.

La comparaison des concentrations observées ici avec celles qui ont été obtenues ailleurs dans le monde, pour les mêmes substances, est une autre façon d’évaluer la qualité chimique de nos cours d’eau. Cependant, cet exercice a ses limites, car les études consultées ne poursuivent pas toutes les mêmes objectifs, ne visent pas toutes le même type de plans d’eau et n’utilisent pas toutes exactement les mêmes méthodes d’analyse. Pour ces raisons, la comparaison doit être faite avec prudence et porter sur l’ordre de grandeur des concentrations, plutôt que sur les valeurs précises.

Pour en savoir plus

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Rédaction :

David Berryman

Direction du suivi de l’état de l’environnement

Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Myriam Rondeau et Véronique Trudeau

Division monitoring et surveillance de la qualité de l’eau

Direction générale des sciences et de la technologie Environnement Canada