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Compte-rendu de l'atelier d'échanges sur l'intégrité écosystémique du Lac Saint-Pierre

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Tenu à l’Université du Québec à Trois-Rivières, le 24 mars 2015
Dans le cadre du Plan d’action Saint-Laurent

Organisation : Serge Hébert, MDDELCC, Christiane Hudon, ECCC, Serge Villeneuve, ECCC et Étienne Gascon, ECCC

Animation : Jean Burton

Table des matières

Mise en contexte

1. Synthèse des discussions sur les facteurs de déclin

    1.2 Principaux facteurs identifiés en plénière

    1.3 Compilation des fiches individuelles

2. Synthèse des discussions sur les informations manquantes et les activités de recherche et de suivi requises

3. Synthèse des discussions sur les actions prioritaires à mettre en place

Mise en contexte

Le 24 mars 2015 s’est tenu à l’UQTR, dans le cadre du Plan d’action Saint-Laurent (PASL), l’Atelier d’échanges sur l’intégrité écosystémique du lac Saint-Pierre, organisé par Christiane Hudon (ECCC), Serge Hébert (MDDELCC) et Serge Villeneuve (ECCC).

L’objectif de cet événement était de rassembler les chercheurs et experts pour faire une évaluation globale des différentes hypothèses permettant d’expliquer les changements écosystémiques majeurs ayant pris place au lac Saint-Pierre (LSP). Au-delà des facteurs communément invoqués (surexploitation, dégradation de la qualité de l’eau et des habitats, cyanobactéries, prédation par les cormorans et compétition par le gobie), le projet visait également à évaluer d’autres facteurs de stress pouvant affecter l’intégrité de cet écosystème. En effet, plusieurs facteurs additionnels, comme les conditions hydroclimatiques, les parasites, les pesticides, les contaminants émergents (etc.) et les interactions entre certains stresseurs, pourraient avoir été sous-estimés.

1. Synthèse des discussions sur les facteurs de déclin

Questions aux sous-groupes : Le déclin actuel de l’écosystème du LSP résulte-t-il d’un facteur principal (lequel) ou d’une combinaison de plusieurs facteurs (lesquels)? Dans ce dernier cas, est-il possible de prioriser ces facteurs par ordre d’importance?

1.1 Éléments déterminants identifiés en sous-groupes

  • Les éléments suivants déterminent la spécificité de l’écosystème du lac Saint-Pierre et modulent sa réponse aux stresseurs :

Particularités physiques du LSP

Le LSP se démarque des autres lacs fluviaux, notamment par la superficie de sa plaine inondable, de ses milieux humides et de ses herbiers, par un canal profond qui sépare les bassins nord et sud, par les charges en substances toxiques et en nutriments provenant de ses nombreux affluents et des rejets urbains de la région de Montréal, par l’exposition aux vents NE-SO et par les importantes variations saisonnières et interannuelles de son niveau en raison de l’influence de l’Outaouais et de la régularisation des eaux provenant des Grands Lacs.

Effet de la saisonnalité

La période de croissance d’espèces telles que la perchaude et d’autres espèces piscicoles s’échelonne sur plus d’une saison. Des facteurs perturbateurs peuvent varier (en nombre et en intensité) au fil des saisons. Au printemps, l’intensité de la crue détermine la durée et la superficie de la plaine inondable, ainsi que la production secondaire (hétérotrophe) permettant de subvenir aux besoins alimentaires des larves de perchaudes. En été, la productivité, la biomasse et la distribution des herbiers submergés sont très variables entre les années et pourraient ne plus offrir la même qualité d’habitat et d’alimentation aux juvéniles. L’effet d’un ou de plusieurs facteurs pourrait expliquer que les perchaudes de l’année (0+) sont de plus petite taille (baisse de l’indice de condition) et qu’elles subissent un fort taux de mortalité au cours de leur premier hiver.

Influence simultanée de plusieurs facteurs de stress

Il est difficile d’isoler un facteur unique responsable de la dégradation. Il est probable que plusieurs stresseurs distincts se combinent, s’additionnent et induisent de possibles synergies. La compréhension des variations des diverses caractéristiques de l’écosystème requiert une reconstitution historique ou une étude spatio-temporelle. Par exemple, l’effondrement des populations de perchaudes au début des années 2000 a fort probablement été causé par un ensemble de facteurs, impliquant une série d’événements qui restent à identifier.

  • Les facteurs de stress suivants ont été identifiés par les rapporteurs des sous-groupes en plénière :

Activités agricoles

De nombreux facteurs liés à l’agriculture sont susceptibles d’engendrer des pressions sur l’écosystème du lac Saint-Pierre (destruction ou modification de l’habitat naturel, apports d’éléments nutritifs, de pesticides, de sédiments et perte de connectivité entre les habitats).

  • Perte d’habitats aquatiques en plaine inondable et dans la zone littorale : La perte d’habitats est un élément crucial qui touche les habitats de reproduction, d’alimentation et de croissance des populations de poissons. Elle résulte principalement de l’occupation de la plaine inondable par l’agriculture, du changement des pratiques culturales et de l’érosion des rives. Le remplacement des cultures pérennes (fourrage) par des cultures annuelles (sol nu au printemps) détruit l’habitat de reproduction de plusieurs espèces et favorise l’apport de matières en suspension (MES), de nutriments et de pesticides.
  • Pesticides et nutriments : Une vingtaine de pesticides sont détectés dans les eaux du lac pendant la saison de croissance; les teneurs mesurées pour l’atrazine et les néonicotinoïdes dépassent à l’occasion les critères de qualité pour la protection de la vie aquatique. Les effets additifs ou synergiques d’un tel cocktail sur la faune et la flore n’ont pas été évalués. Par ailleurs, l’effet de l’exposition prolongée de la végétation submergée à un tel mélange de substances toxiques (notamment le glyphosate), en raison du faible taux de renouvellement des masses d’eau sur la rive sud, n’a pas non plus été évalué. Les affluents de la rive sud sont responsables d’importantes charges en nutriments qui ont pu contribuer à la prolifération d’algues bleu-vert benthiques. Les effets de ces apports sur les invertébrés benthiques, les populations de poissons et les herbiers n’ont pas tous été évalués.
  • Drainage : L’augmentation du drainage dans les champs favorise l’apport de phosphore dans les cours d’eau. Les apports de phosphore dans les réseaux de drainage souterrain complexifient le problème puisque ces eaux échappent aux ouvrages de rétention dans les champs et aux bandes riveraines.

Hydrologie et changements climatiques

Le niveau du LSP a subi une variabilité interannuelle importante depuis les dernières années, laquelle serait liée aux changements climatiques. Les variations majeures du niveau d’eau favorisent l’érosion et la turbidité. Les bas niveaux extrêmes sont défavorables au maintien d’herbiers en santé dans la zone littorale.

Turbidité

Des mesures élevées de turbidité sont observées en rive, particulièrement en aval des tributaires. La forte turbidité entraîne une baisse de la pénétration de la lumière et ainsi de la production primaire, et limite possiblement l’étendue des herbiers qui constituent la structure de base de l’habitat pour de nombreuses espèces fauniques. Une augmentation de la turbidité a été constatée depuis 2002 dans les eaux du lac.

Modification du régime des glaces

Les effets des glaces sont limités au littoral et pourraient expliquer une partie des pertes de superficie et les changements de structure des milieux humides ainsi qu’une hausse de la turbidité et de l’érosion des berges.

Contaminants émergents

De nombreux contaminants dits « émergents » (produits de soins personnels, produits pharmaceutiques, retardateurs de flamme, etc.) ont été détectés dans le LSP ou ses affluents; leurs effets sur les ressources n’ont pas été évalués systématiquement. Leurs effets individuels et synergiques sont à la fois mal connus et préoccupants.

Espèces exotiques envahissantes

Au cours du dernier siècle, le LSP a été envahi par de nombreuses espèces exotiques animales et végétales. Elles n’ont cependant pas été identifiées comme parmi les facteurs de déclin les plus significatifs lors des discussions en sous-groupe. Le suivi environnemental de ces espèces n’est pas assuré systématiquement (carpe allemande, gobie, tanche, crabe chinois à mitaines, phragmites, salicaire, alpiste roseau, châtaigne d’eau, butome, algues et cyanobactéries, etc.).

1.2 Principaux facteurs identifiés en plénière

Dans un effort de priorisation des facteurs de déclin de l’intégrité écosystémique du LSP, le groupe statue, en plénière, sur le caractère prépondérant des facteurs suivants :

  • Agriculture dans la plaine inondable : Les cultures annuelles sur sol nu et le drainage souterrain sont identifiés comme les facteurs les plus importants pour expliquer les pertes d’habitats et les apports locaux en éléments nutritifs et pesticides.
  • Changements de l’amplitude et de la saisonnalité des variations des niveaux d’eau : La régulation anthropique et les changements climatiques pourraient avoir des conséquences sur la dynamique des herbiers et des milieux humides, de même que sur les ressources qu’elles abritent; les niveaux de récurrence (0-2, 0-10, 0-20 ans) doivent être précisés pour faciliter une meilleure gouvernance (politiques de conservation ou mesures réglementaires).
  • Apports des tributaires : Les apports en azote, en phosphore et en pesticides ainsi que l’augmentation de la turbidité et des MES sont jugés comme étant des stresseurs importants; leurs effets synergiques pourraient amplifier leurs effets délétères individuels.
  • Diminution des herbiers aquatiques : Les facteurs de stress mentionnés précédemment pourraient entraîner la diminution des herbiers, ce qui affecterait les populations d’invertébrés et de poissons qui y sont associés et pourrait contribuer à la perte de l’intégrité de l’écosystème du LSP.

1.3 Compilation des fiches

Au début de l’atelier, chaque participant a reçu une feuille sur laquelle figurait une liste des facteurs potentiellement responsables du déclin de l’intégrité écosystémique du LSP (annexe 4). À la fin de la journée, chaque participant devait identifier les cinq facteurs qui, selon son avis d’expert, sont les plus susceptibles d’expliquer le déclin de l’écosystème du LSP. La compilation des fiches individuelles a permis d’identifier les préoccupations des chercheurs et experts concernant les principaux facteurs de déclin (figure 1). 

 

Figure 1. Principaux stresseurs identifiés par les participants

Description longue

Le graphique présente les facteurs potentiellement responsables du déclin de l’intégrité écosystémique du lac Saint-Pierre relevés par les participants. Parmi les plus importants stresseurs, les répondants ont mentionné à :

• 89 % l'agriculture en zone inondable;
• 60 % le niveau d'eau et le débit;
• 60 % la turbidité et les matières en suspension (MES);
• 49 % les pesticides;
• 34 % la météo extrême (inondations, crues et sécheresse);
• 29 % les effets synergiques;
• 29 % le changement de régime hydrologique des tributaires;
• 26 % l'azote et le phosphore.

2. Synthèse des discussions sur les informations manquantes et les activités de recherche et de suivi requises

Questions aux sous-groupes : Quelles sont les informations manquantes pour comprendre les causes du déclin de l’écosystème du LSP? Quelles sont les activités de suivi et de recherche à mettre en place pour combler ces lacunes?

  • Les éléments suivants ont été identifiés lors des discussions en sous-groupes et en plénière comme étant des activités de recherche et de suivi requises pour pallier le manque d’information (l’ordre de présentation n’indique pas un niveau de priorité) :

Activités agricoles dans la plaine inondable et les bassins versants

  • Dresser le portrait et l’évolution des pratiques agricoles (utilisation des pesticides, types de culture, fertilisation, pratiques bénéfiques, etc.);
  • Cartographier les épandages de pesticides, les niveaux de fertilisation des sols, l’utilisation du territoire, la tenure des terres et les secteurs en érosion;
  • Établir les relations entre les pratiques au champ dans les bassins versants et les apports aux tributaires;
  • Évaluer l’effet de l’élimination de certaines pratiques ou cultures.

Écosystème et biocénose

Herbiers submergés :

  • Cartographier la distribution, l’abondance et l’évolution spatio-temporelle des macrophytes ainsi que leur état physiologique en fonction des propriétés physico-chimiques des masses d’eau (turbidité, teneurs en contaminants, température, etc.), de l’hydrologie et des conditions météorologiques;
  • Établir un état de référence et suivre l’évaluation de l’état de santé des herbiers;
  • Établir des comparaisons entre les différents secteurs du LSP et avec d’autres lacs fluviaux ayant subi des pressions de nature différente;
  • Reconstituer l’évolution des herbiers et la diminution de la population de perchaude en parallèle avec l’évolution des pratiques agricoles dans la plaine inondable et les modifications écosystémiques observées (contaminants, hydrologie, etc.);
  • Étudier la croissance des herbiers en fonction de la dynamique sédimentaire du lac.

Communautés piscicoles et zooplancton :

  • Analyser les données du Réseau de suivi ichtyologique (données de biomasse, densité, distribution);
  • Établir à quelles phases du développement se manifeste le déficit de croissance de la perchaude;
  • Investiguer les indicateurs de croissance des poissons;
  • Établir la productivité des différentes guildes de poisson;
  • Vérifier l'hypothèse de sélection d'une population de perchaudes différente des autres lacs fluviaux;
  • Analyser la possibilité d’avoir d'autres effondrements d’espèces à valeur commerciale ou culturelle;
  • Étudier le zooplancton en fonction des saisons et de la connectivité dans les milieux humides;
  • Documenter la qualité du bol alimentaire disponible aux larves et alevins.

Réseau trophique :

  • Documenter la base de la chaîne trophique;
  • Quantifier le rôle trophique de la plaine inondable;
  • Dresser le portrait et documenter l’évolution du réseau trophique, à la suite de la disparition de certains poissons migrateurs et prédateurs au profit d’espèces opportunistes et résistantes aux stress environnementaux (espèces benthivores, omnivores et envahissantes);
  • Étudier les changements historiques des réseaux trophiques à l’aide des isotopes stables.

Évaluation des services écosystémiques :

  • Évaluer la valeur des services écosystémiques du LSP ainsi que les impacts économiques encourus par la perte d’autres espèces à valeur commerciale et culturelle.

Contaminants et qualité de l’eau

  • Documenter l’effet synergique des pesticides (néonicotinoïdes et glyphosate en particulier) et des nutriments sur la biocénose (herbiers, organismes benthiques et poissons);
  • Effectuer des bio-essais de toxicité de l'eau dans les petits tributaires; • Mettre en place un programme de suivi de la qualité de l'eau dans le littoral du LSP;
  • Mesurer les apports en herbicides et en nutriments provenant de la plaine inondable;
  • Caractériser et cartographier les masses d’eau (paramètres physico-chimiques, contaminants);
  • Étudier les effets du ratio N/P sur les plantes aquatiques;
  • Documenter l’impact des types de culture dans la plaine inondable sur la turbidité en rive et ses effets sur la production du zooplancton, sur la croissance des larves de perchaudes et sur la productivité des herbiers.

Hydrologie et habitats

  • Améliorer la prise en compte des végétaux dans la modélisation hydrologique;
  • Rendre disponibles les données et modèles hydrologiques existants et en simplifier l’utilisation;
  • Déterminer l’étendue de la plaine inondable selon différentes récurrences de crues (0-2, 0-10, 0-20 ans) et étudier l’impact de sa variabilité sur les herbiers du LSP selon différentes utilisations du territoire et divers types de culture;
  • Évaluer l’impact des changements climatiques sur les niveaux d’eau et sur la plaine inondable;
  • Documenter les effets du dragage, de la présence du chenal de navigation et du batillage;
  • Étudier l'impact de la gestion des glaces à l'embouchure des rivières sur les marais peu profonds.

Gestion et coordination

Accessibilité aux données :

  • Assurer la pérennité des données dans des bases de données bien documentées (métadonnées adéquates);
  • Rendre accessibles les bases de données du Programme de suivi de l'état du Saint-Laurent;
  • Colliger dans un système d’information géographique (SIG) les informations sur le LSP provenant de diverses sources.

Développement d’indicateurs :

  • Développer des indicateurs afin de mesurer les changements de distribution, de composition et d’abondance concernant les contaminants et la biocénose;
  • Développer des indicateurs d’effets de l’eutrophisation;
  • Développer des indicateurs de la qualité de l’habitat.

Plusieurs participants souhaitent l’instauration d’une étude multidisciplinaire requérant la participation et la mise en commun des données de tous les intervenants. Le projet porterait sur la cartographie des macrophytes (superficie, densité) à l'échelle du lac et l’identification des variables-clés qui sont déterminantes pour la végétation (plantes submergées et émergées, herbiers aquatiques).

3. Synthèse des discussions sur les actions prioritaires à mettre en place

Questions aux sous-groupes : Quelles sont les actions prioritaires à mettre en place pour restaurer l'intégrité écosystémique du LSP?

Les éléments suivants ont été identifiés en plénière comme étant des actions prioritaires à mettre en place pour la restauration de l’intégrité écosystémique du LSP (l’ordre de présentation n’indique pas un niveau de priorité) :

  • Réglementation et conformité réglementaire : Interdire les cultures annuelles dans la plaine inondable et s’assurer de la conformité aux politiques et à la réglementation en vigueur, notamment la Politique pour la protection des rives, du littoral et de la plaine inondable;

  • Relocalisation et rachat des terres agricoles en plaine inondable : Faire la promotion de la relocalisation et du rachat des terres agricoles de la plaine inondable;

  • Amélioration des pratiques agricoles et évolution vers l’agroforesterie : Améliorer les pratiques agricoles en éloignant l’agriculture des cours d’eau, en érigeant des bandes riveraines efficaces, en réduisant le ruissellement et en traitant les eaux de drainage;

  • Réduction à la source : Réduire les apports de nutriments, de pesticides et de MES dans la zone littorale, les affluents principaux et les petits tributaires;

  • Gestion écologique des niveaux d’eau : Gérer les niveaux d’eau du Saint-Laurent en tenant compte des besoins écologiques du LSP;

  • Fin du développement en plaine inondable : Cesser tout développement (résidentiel, industriel, agricole) dans la plaine inondable de récurrence 0-20 ans actuelle et faire la promotion d’un projet de parc linéaire de préservation du littoral, des rives et de la plaine inondable du Saint-Laurent.