La qualité de l’eau du secteur fluvial
La contamination par les toxiques
État actuel : Intermédiaire-bon
Selon les récents résultats d’analyse de la qualité de l’eau du Saint-Laurent, les concentrations de polybromodiphényléthers (PBDE) sont en diminution alors que des produits pharmaceutiques comme l’Estradiol sont détectés à des concentrations préoccupantes.
Figure 1 : Schéma conceptuel du transport, de la bioaccumulation et la bioamplification des contaminants toxiques en eaux douces
Description longue
Figure présentant un écosystème aquatique recevant des rejets industriels, urbains et agricoles dont les contaminants sont transportés dans les sédiments et se bioaccumulent dans la chaîne alimentaire passant des macro-invertébrés benthiques, aux poissons et aux oiseaux.
Au cours du siècle dernier, l’urbanisation, les activités industrielles et les activités agricoles ont généré une importante charge de substances toxiques qui se sont retrouvées dans les cours d’eau. Ces apports ont contribué à détériorer la qualité de l’eau de l’immense bassin Grands Lacs – Saint-Laurent et ont nui à plusieurs espèces qu’il abrite. Des métaux, nutriments, pesticides et substances émergentes comme les produits pharmaceutiques sont ainsi détectés dans l’eau à des concentrations parfois préoccupantes.
Quatre stations de suivi servent à évaluer l’état de la qualité de l’eau du Saint-Laurent en ce qui a trait aux substances toxiques, en enregistrant les fluctuations saisonnières et interannuelles ainsi que les tendances à long terme des concentrations de plusieurs contaminants (figure 2).
Figure 2 : Niveau de contamination aux quatre stations fluviales principales : Carillon, Lavaltrie, Bécancour et Québec
Les pointes de tarte représentent chaque contaminant évalué et les quatre quadrants, les groupes de contaminants.
* Les pesticides ont été mesurés à la station de Carillon entre 1995 et 1997 et à la station de Lavaltrie entre 2004 et 2006.
** Les PBDE ont été mesurés à Carillon entre 2004 et 2006.
Description longue
Carte présentant le tronçon fluvial du Saint-Laurent et la localisation de quatre sites d’échantillonnage des eaux de surface dont Carillon, Lavaltrie, Bécancour et Québec. Des symboles présentent la contamination mesurée à chaque site. Partout, la contamination n’est pas préoccupante pour les paramètres mesurés, à l’exception du cuivre qui est à surveiller et de l’estradiol qui est préoccupant.
Depuis 1995, la station localisée dans la région de Québec sert de station de référence, puisqu’elle cumule la contamination des différentes masses d’eau qui compose le fleuve Saint-Laurent en amont et qui y sont mélangées sous l’effet des marées. Depuis 2004, des mesures sont également prises près de l’embouchure de la rivière des Outaouais, à Carillon. Les eaux de l’Outaouais, le plus important tributaire du fleuve, s’écoulent le long de la rive nord du Saint-Laurent. Appelées communément eaux brunes, elles sont fortement colorées et peuvent être identifiées facilement jusqu’à Trois-Rivières.
Deux stations supplémentaires ont été ajoutées en 2006 afin de couvrir d’autres importantes masses d’eau du Saint-Laurent telles que la station de Lavaltrie localisée dans la masse d’eau brune de la rive nord du Saint-Laurent et en aval des rejets municipaux de la région urbaine de Montréal ainsi que la station de Bécancour couvrant la masse d’eau impactée par les tributaires agricoles de la rive sud du lac Saint-Pierre.
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État de la qualité de l’eau entre 2006 et 2011
Cette fiche présente les résultats obtenus par l’analyse des métaux, des pesticides, des PPSP (produits pharmaceutiques et de soins personnels) et des PBDE (polybromodiphényléthers) aux quatre stations entre 2006 et 2011. Dans certains cas, en raison de la forte affinité de contaminants pour les matières en suspension et de leur comportement distinct en phase dissoute et en phase particulaire, les deux phases ont été analysées séparément. L’emploi des plus récentes techniques d’échantillonnage et de dosage a permis d’obtenir des résultats précis pour les substances présentes à l’état de traces et d’ultratraces.
Tableau 1 : Concentrations médianes des contaminants toxiques aux quatre stations fluviales principales et fréquence de dépassement (%) des critères de protection de la vie aquatique
Les métaux
Les concentrations de métaux mesurées respectent en grande partie les critères de qualité pour la protection de la vie aquatique (tableau 1). Lorsque des dépassements sont observés, ceux-ci sont généralement associés à des niveaux de matière en suspension élevés, par exemple au moment de la crue printanière. C’est le cas du cuivre pour lequel on observe des dépassements surtout au printemps.
L’origine des métaux est parfois difficile à déterminer, car ceux-ci sont présents naturellement dans les cours d’eau. Ce n’est que lorsque les concentrations dépassent un certain seuil que l’on peut conclure à un apport anthropique. Dans le Saint-Laurent, les concentrations de métaux sont légèrement plus élevées aux stations de Lavaltrie et de Bécancour (tableau 1). L’accroissement des concentrations de métaux dans les eaux brunes localisées entre la station de Carillon et celle de Lavaltrie est possiblement associé à un apport anthropique de métaux dans la région urbaine de Montréal et de Laval.
Les eaux prélevées à la station de Bécancour sont affectées par les apports de métaux provenant probablement des tributaires de la rive sud du lac Saint-Pierre. Ces rivières sont caractérisées par un niveau élevé de matières en suspension auxquelles des métaux sont associés. Les concentrations de métaux adsorbées sur les particules en suspension sont très près des teneurs mesurées dans la croûte terrestre et on estime donc que l’apport de métaux, en provenance des rivières tributaires, et des particules résultant de l’érosion des berges et du lit du fleuve constituent la source majeure des apports en métaux au fleuve Saint-Laurent (Rondeau et al., 2005).
Les pesticides
Le choix des pesticides analysés dans le cadre du suivi de la qualité de l’eau du fleuve repose sur l’intensité d’utilisation de ces produits dans les basses terres du Saint-Laurent. Ainsi, les herbicides tels que l’atrazine et le métolachlore, qui sont des herbicides largement utilisés en particulier pour la culture du maïs et du soya, ont été le plus souvent détectés dans les eaux du Saint-Laurent.
Par ailleurs, les pesticides ne font pas l’objet d’un suivi régulier dans les eaux brunes de la rivière Saint-Maurice et dans celles des Outaouais (Carillon et Lavaltrie). Une étude antérieure (Cossa et al., 1998) a révélé la quasi-absence de ces contaminants à l’embouchure de l’Outaouais facilement expliquée par la proportion réduite du territoire utilisé à des fins agricoles à l’échelle des grands bassins versants de la rive nord du Saint-Laurent.
Les concentrations de pesticides mesurées dans les autres masses d’eau du Saint-Laurent sont très similaires. Les teneurs médianes de pesticides varient peu d’une station à l’autre et ne dépassent pas les critères de qualité pour la protectio de la vie aquatique (tableau 1). Par contre, ces contaminants affichent de fortes variations saisonnières. Ainsi, à la station de Québec (figure 3), des teneurs plus élevées sont observées en été (jusqu’à 100 ng/L) vraisemblablement à cause de l’épandage de pesticides sur les cultures situées dans les basses terres du Saint-Laurent. Un bilan massique réalisé en 1995 et 1996 avait démontré l’importance du lac Ontario comme source de ces herbicides pour le Saint-Laurent (Pham et al., 2000). Il faut cependant souligner qu’à l’échelle locale, le lac Saint-Pierre est un milieu vulnérable à la contamination par les pesticides puisque d’importants tributaires à forte vocation agricole s’y déversent (Trudeau et al., 2010; Giroux et al., 2016).
Figure 3 : Variation de la concentration d’atrazine à la station de Québec
Description longue
Graphique dont les années sont présentées sur l’axe des X et les concentrations d’atrazine sur l’axe des Y. De 2004 à 2013, les concentrations varient entre 16 et 75 ng/L, à l’exception des concentrations maximales de 115 ng/L mesurées en juin 2005 et de 170 ng/L mesurées en juin 2012.
Les polybromodiphényléthers (PBDE)
Ces produits sont utilisés comme retardateur de flammes dans plusieurs objets familiers tel que les tapis, tissus, ordinateurs et peintures. Les PBDE peuvent s’échapper du produit fabriqué durant les procédés de production, au cours de son utilisation ou après son élimination pour se retrouver ensuite dans l’environnement par le biais des effluents ou sous la forme d’apport atmosphérique. La fabrication, l’importation, l’utilisation et la vente des produits commerciaux pentaBDE et octaBDE sont interdites au Canada depuis 2008.
Le suivi de la présence des PBDE a été réalisé dans les particules en suspension du Saint-Laurent aux stations de Lavaltrie, Bécancour et Québec entre 2006 et 2011 (tableau 1). Les concentrations médianes des six congénères de PBDE détectés dans les matières en suspension du Saint-Laurent à une fréquence de plus de 50 % sont présentées au tableau 1. Pour chacune des stations, les concentrations médianes du congénère 209 sont plus élevées que la sommation de la concentration de tous les autres congénères détectés.
Par contre, les pentabromodiphényléthers (congénère 99 et 100), également détectés fréquemment dans le Saint-Laurent, sont reconnus plus toxiques que le congénère 209. Les concentrations les plus importantes de PBDE sont mesurées à la station de Lavaltrie confirmant l’importance des sources d’origine urbaine de la région de Montréal. Aucun dépassement de critère de qualité n’est cependant noté à cette station. De plus, les concentrations y ont nettement diminué entre 2007 et 2016 (figure 4), reflétant la réglementation entrée en vigueur en 2008 sur ces produits.
Figure 4 : Concentrations des PBDE 209 et PBDE 99 à Lavaltrie de 2007 à 2016
Description longue
Graphique présentant les années sur l’axe des X et les concentrations de PBDE 99 et PBDE 209 sur l’axe des Y. De 2007 à 2016, les concentrations varient entre 0 et 717 pg/L. La tendance est présentée à la baisse, puisque les concentrations ont diminué de moitié durant la période.
Les produits pharmaceutiques et de soins personnels (PPSP)
Une part importante des produits pharmaceutiques et de soins personnels (PPSP) que nous utilisons couramment, comme les crèmes hydratantes pour la peau, les shampoings et les dentifrices, sont transférés dans l’eau au moment de la douche ou d’autres pratiques d’hygiène. D’autres produits, comme les médicaments pris par voie orale, sont en partie éliminés dans les excrétions humaines et se retrouvent eux aussi dans les eaux usées domestiques. Les industries où sont produites ces substances et la disposition inappropriée des produits non utilisés (ex. : médicaments jetés dans les toilettes) sont d’autres sources de PPSP dans les eaux usées industrielles et municipales.
Les stations municipales de traitement des eaux usées éliminent partiellement les PPSP qui leur sont acheminés, mais cette élimination varie en fonction des substances et du type de traitement. Une fraction de ces substances se retrouve donc dans l’effluent final des stations de traitement et est rejetée dans les cours d’eau récepteurs, comme le fleuve Saint-Laurent. Les plus fortes concentrations ont été mesurées à proximité des grands centres urbains de la région de Montréal (station Lavaltrie) et de la région de Québec (station Québec) (tableau 1). Les concentrations sont du même ordre de grandeur que celles trouvées dans d’autres fleuves du monde (Berryman et al., 2014).
Peu de critères de qualité de l’eau ont été développés pour ces produits (tableau 1). Par contre la détection d’estrogène dans le Saint-Laurent est préoccupante. Le critère de qualité de ce produit étant inférieur à la limite de détection de nos analyses, il n’est pas possible actuellement de statuer sur le risque posé à la vie aquatique par ce produit. De plus, on a peu de renseignements sur les effets de mélange de plusieurs produits ni sur les produits de dégradations, qui peuvent être aussi toxiques que les produits parents.
Perspective
Grâce à de récents développements technologiques, il est maintenant possible de détecter de nouvelles substances préoccupantes, et des programmes de surveillance et de suivi sont mis en oeuvre pour connaître leur comportement chimique et leur devenir dans le milieu aquatique. Plusieurs de ces substances (surfactants, stéroïdes, médicaments, hormones, etc.) sont associées à des perturbations du système endocrinien chez les organismes aquatiques.
L’information sur leurs présences et leurs sources contribuera à améliorer le suivi de la qualité de l’eau du Saint-Laurent. De plus, le débit du Saint-Laurent est un facteur important régissant le transport des contaminants. Les changements du régime d’écoulement du fleuve résultant des changements climatiques ou de la régularisation du niveau des Grands Lacs auront des répercussions qui devront être documentées.
Mesures clés
Les critères de la qualité de l’eau
Les critères de la qualité de l’eau servent de niveau de référence à l’évaluation de la santé des écosystèmes aquatiques. Ceux-ci sont des valeurs associées à un seuil sécuritaire qui protège un usage de tout type d’effets délétères possibles. Parmi ces critères, celui relatif à la toxicité chronique pour la vie aquatique utilisé ici est la concentration la plus élevée d’une substance qui ne produira aucun effet néfaste sur les organismes aquatiques (et leur progéniture) lorsqu’ils y sont exposés quotidiennement pendant toute leur vie. Toute concentration dans le milieu au-dessus de ce critère, lorsqu’elle est maintenue suffisamment longtemps, est susceptible de causer un effet indésirable. Ce sont les fréquences de dépassements de ces critères qui sont utilisées pour établir les constats à l’échelle du contaminant, du groupe de contaminants, de la station et du fleuve globalement (figure 5).
Figure 5 : Mesures clés
Description longue
La figure présente les contaminants toxiques retenus pour statuer sur la qualité de l’eau selon quatre groupes de contaminants. Pour le groupe des PBDE (Polybromodiphényléthers), les contaminants retenus sont le PBDE99, le PBDE100 et le PBDE209. Pour le groupe des PPSP (produits pharmaceutiques et de soins personnels), les contaminants retenus sont l’estradiol 17B, le triclosan et le bisphénol A. Pour le groupe des métaux, les contaminants retenus sont le cuivre, le plomb et le zinc. Pour le groupe des pesticides, les contaminants retenus sont l’atrazine, le métholachlore et le simazine.
Chaque groupe de contaminants est représenté par un quadrant d’un cercle et chaque contaminant par une pointe de tarte. Le constat par contaminant est fait en trois classes d’état : vert équivaut à une contamination non préoccupante soit de 0 à 10 % de dépassement des critères de protection de la vie aquatique pour toxicité chronique, le jaune équivaut à une contamination à surveiller soit plus de 10 % jusqu’à 50 % de dépassement des critères et le rouge équivaut à une contamination préoccupante à plus de 50 % de dépassement des critères. Les constats sont ensuite transposés à l’échelle des groupes de contaminants en remplaçant les trois classes d’état vert, jaune et rouge par des valeurs numériques de 2, 1 et -2. En additionnant les résultats des trois contaminants par groupe on obtient une classe d’état par groupe de contaminants. Les valeurs 5 et 6 correspondent à vert, donc à et une contamination non préoccupante, les valeurs 1 à 4 correspondent à jaune, donc à une contamination à surveiller et les valeurs 0 à -6 correspondent à rouge, donc à une contamination préoccupante. Les résultats sont ensuite compilés par station avec le même calcul d’indice (vert = 2, jaune = 1, rouge = -2). La classification finale est sous forme d’un anneau de couleur autour du pictogramme. Les classes d’état de l’indicateur sont 8 = bon représenté par la couleur verte, 6 à 7 : intermédiaire-bon représenté par la couleur jaune-vert, 3 à 5 : intermédiaire représenté par la couleur jaune, -3 à 2 : intermédiaire-mauvais représenté par la couleur orange et -8 à -4 : mauvais représenté par la couleur rouge. Le constat global de l’indicateur est la moyenne des résultats des stations.
Bibliographie
BERRYMAN, D. M. RONDEAU, V. TRUDEAU. 2014. Concentrations de médicaments, d’hormones et de quelques autres contaminants d’intérêt émergeant dans le Saint-Laurent et dans trois de ses tributaires. Environnement Canada et Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques, Québec, 14 pages
COSSA, D., T.-T. PHAM, B. RONDEAU, S. PROULX, C. SURETTE et B. QUÉMERAIS. 1998. Bilan massique des contaminants chimiques dans le fleuve Saint-Laurent. Environnement Canada – Région du Québec, Conservation de l’environnement, Centre Saint-Laurent. Rapport scientifique et technique ST-163, 258 pages.
GIROUX, I., S. HÉBERT, D. BERRYMAN. 2016. Qualité de l’eau du Saint-Laurent de 2000 à 2014 : paramètres classiques, pesticides et contaminantsémergents. Le naturaliste Canadien. Vol. 140, no 2, p 26-34.
PHAM T.T., B. RONDEAU, H. SABIK, S. PROULX, D. COSSA. 2000. Lake Ontario: the predominant source of triazine herbicides in the St. Lawrence River. Can J Fish Aquat Sci 57(S1) : 78-85
RONDEAU B, D. COSSA, P. GAGNON, T.T. PHAM, C. SURETTE. 2005. Hydrologicaland biogeochemical dynamics of the minor and trace elements in the St. Lawrence River. Appl Geochem 20 : 1391–1408
TRUDEAU, V., M. RONDEAU et A. SIMARD. 2010. Pesticides aux embouchures
de tributaires du lac Saint-Pierre (2003-2008). Montréal, Environnement
Canada, Direction des sciences et de la technologie de l’eau, Section
Monitoring et surveillance de la qualité de l’eau au Québec, 81 pages.
Rédaction
Myriam Rondeau
Monitoring de la qualité des eaux douces
Surveillance de la qualité de l’eau
Sciences et technologie, Eau
Direction générale des sciences et de la technologie
Environnement et Changement climatique Canada