Les butylétains dans les sédiments du fleuve Saint-Laurent
Problématique
Les butylétains (BT) sont des composés organo-métalliques utilisés depuis 1960 comme biocides dans les peintures antisalissures pour les coques de navire, comme fongicides et insecticides, comme produits de préservation du bois et comme stabilisants dans le chlorure de polyvinyle. Les butylétains peuvent être mesurés dans les sédiments sous la forme de tributylétain (TBT) et de ses produits de dégradation, le dibutylétain (DBT) et le monobutylétain (MBT). Ces substances sont persistantes dans l’environnement et s’accumulent dans les organismes aquatiques. Le TBT étant hautement toxique, l’utilisation des peintures à base de TBT pour les petites embarcations (moins de 25 m) est réglementée au Canada depuis 1989, mais pour les plus grandes embarcations, elle est demeurée permise jusqu’en 2002. De plus, le Règlement sur certaines substances toxiques interdites (2012) interdit la fabrication, l’utilisation, la vente, la mise en vente ou l’importation de TBT au Canada. Dans le cadre d’une collaboration entre les programmes de monitoring et de recherche sur la contamination chimique du fleuve Saint-Laurent, l’analyse de 250 échantillons de sédiments a été réalisée afin de dresser un bilan actualisé des concentrations de butylétains dans les sédiments le long du fleuve Saint-Laurent.
Portrait de la situation
Fleuve Saint-Laurent
Des sédiments de surface ont été récoltés entre 2003 et 2010 dans les trois lacs fluviaux, dans le tronçon fluvial ainsi que dans le secteur de Montréal, à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte portuaire ainsi que dans les écluses et le canal de Lachine. Les résultats ont montré que 50 % des échantillons contiennent l’une des trois formes de butylétains et que la forme MBT est la plus souvent détectée. La majorité des stations (74 %) est peu ou pas contaminée avec des concentrations inférieures à 5 ng d'étain /g (5 ng Sn/g). Le reste des stations contient moins de 100 ng Sn/g et peut être considéré comme contaminé par les butylétains. Ces stations se situent principalement dans les bassins de sédimentation des lacs fluviaux.
Marina
Des sédiments ont été recueillis dans 20 marinas situées entre Cornwall et Trois-Rivières. La totalité des échantillons contenait des concentrations détectables de butylétains. La forme la plus fréquente était les MBT dans 95 % des cas. Chacune des classes de qualité contient environ le tiers des stations (voir section Seuils de contamination par les butylétains). Quelques stations ont des valeurs supérieures à 200 ng Sn/g.
Port de Montréal
Le port de Montréal longe la rive sud de l’île de Montréal, entre les rapides de Lachine et Pointe-aux-Trembles. Les analyses des sédiments de surface recueillis à 49 stations, près des principaux quais, indiquent la présence de butylétains dans 92 % des cas. Les bassins de la gare maritime et du terminal Bickerdike dans le secteur amont du port sont les plus contaminés, avec des valeurs respectives de 1 341 ng Sn/g et de 356 ng Sn/g. Le butylétain est détecté dans plus de 75% des analyses et constitue la principale forme de butylétains.
Pour l’ensemble des stations, plus de la moitié (51 %) est contaminée et présente des valeurs entre 5 et 100 ng Sn/g, tandis que 37 % des stations sont très contaminées, leurs valeurs dépassant 100 ng Sn/g.
Contrecœur
Le secteur de l’archipel de Contrecœur, situé dans le tronçon fluvial entre Montréal et le lac Saint-Pierre, est un milieu naturel classifié « réserve nationale de faune ». Les sédiments de surface de ce secteur contiennent des butylétains; 56 % des stations sont contaminées ou très contaminées.
Les deux concentrations les plus élevées (2 093 ng Sn/g et 982 ng Sn/g) sont principalement sous la forme de TBT et pourraient avoir un effet sur les organismes benthiques. Ces concentrations dépassent de beaucoup le critère intérimaire de 800 ng Sn/g proposé pour les zones portuaires dans les Grands Lacs (Bartlett et al., 2005). Elles se situent dans une zone d’eau calme, à quelques kilomètres en aval d’un quai de transbordement situé sur le fleuve et utilisé à l’occasion.
Écluses de la voie maritime et le canal de Lachine
Quelques échantillons de sédiments de surface prélevés dans les écluses (Saint-Lambert et Sainte-Catherine) de la voie maritime ont montré la présence de butylétains avec une valeur médiane de 76 ng Sn/g et une valeur maximale de 515,3 ng Sn/g.
Pour leur part, les sédiments du canal de Lachine montrent des concentrations relativement faibles (valeur maximale de 85 ng Sn/g) par rapport à celles observées dans la marina située juste à l’entrée du canal (valeur maximale de 222 ng Sn/g), une source potentielle de butylétains dans le canal de Lachine.
Tableau 1.1: Statistiques descriptives de la qualité des sédiments par groupe de stations
Substance | n | Pourcentage de détection (%) | Valeur minimale (ng Sn/g) | Valeur médiane (ng Sn/g) | Valeur maximale (ng Sn/g) | |
---|---|---|---|---|---|---|
Fleuve | MBT | 136 | 40 | < 0,7 | < 0,7 | 89,2 |
DBT | 136 | 17 | < 0,5 | < 0,5 | 9,1 | |
TBT | 136 | 23 | < 0,4 | < 0,4 | 66,0 | |
BT total | 136 | 53 | LDM | 0,9 | 91,3 | |
Contre-coeur | MBT | 16 | 50 | < 0,7 | < 0,7 | 12,1 |
DBT | 16 | 63 | < 0,5 | 1,4 | 480,0 | |
TBT | 16 | 69 | < 0,4 | 2,7 | 1603,0 | |
BT total | 16 | 100 | 0,4 | 10,1 | 2092,5 | |
Port de Montréal | MBT | 49 | 47 | < 0,7 | < 0,7 | 170,0 |
DBT | 49 | 65 | < 0,5 | 5,5 | 259,4 | |
TBT | 49 | 76 | < 0,4 | 31,0 | 1099,0 | |
BT total | 49 | 92 | LDM | 54,2 | 1341,0 | |
Marinas | MBT | 20 | 95 | < 0,7 | 1,7 | 120,0 |
DBT | 20 | 70 | < 0,5 | 3,4 | 96,9 | |
TBT | 20 | 65 | < 0,4 | 3,5 | 150,0 | |
BT total | 20 | 100 | 1,1 | 14,3 | 222,0 | |
Écluses | MBT | 7 | 86 | < 0,7 | 1,4 | 7,3 |
DBT | 7 | 100 | 8,0 | 17,6 | 59,7 | |
TBT | 7 | 100 | 0,2 | 58,0 | 455,0 | |
BT total | 7 | 100 | 9,4 | 76,0 | 515,3 | |
Canal de Lachine | MBT | 6 | 86 | 0,8 | 4,0 | 8,4 |
DBT | 6 | 100 | 0,4 | 5,9 | 26,2 | |
TBT | 6 | 100 | 1,8 | 5,1 | 50,7 | |
BT total | 6 | 100 | 4,5 | 15,7 | 85,3 |
Tableau 1.2: Évaluation de la qualité des sédiments par groupe de stations
Classes de qualité | Pourcentage de stations (%) | |
---|---|---|
Fleuve | Peu ou pas contaminé | 74 |
Contaminé | 26 | |
Très contaminé | 0 | |
Contre-coeur | Peu ou pas contaminé | 44 |
Contaminé | 31 | |
Très contaminé | 25 | |
Port de Montréal | Peu ou pas contaminé | 12 |
Contaminé | 51 | |
Très contaminé | 37 | |
Marinas | Peu ou pas contaminé | 35 |
Contaminé | 35 | |
Très contaminé | 30 | |
Écluses | Peu ou pas contaminé | 0 |
Contaminé | 71 | |
Très contaminé | 29 | |
Canal de Lachine | Peu ou pas contaminé | 17 |
Contaminé | 83 | |
Très contaminé | 0 |
Légende: BT - butylétain; LDM - Limite de détection, n - nombre d’échantillons
*Voir section Seuils de contamination par les butylétains
Seuils de contamination par les butylétains
En l’absence de critère de qualité canadien pour l’évaluation de la qualité des sédiments par les butylétains, nous avons utilisé comme valeurs guides les critères de qualité de tributylétain élaborés en Norvège pour les sédiments d’eaux salées (Bakke et al., 2010) et le critère « intérimaire » proposé pour les zones portuaires dans les Grands Lacs (Bartlett et al., 2005). Considérant le total des trois formes de butylétains, nous avons établi trois classes de contamination (voir la légende) qui ont été subdivisées en sous-classes de couleurs afin de faciliter la visualisation des résultats sur les cartes de concentra tions. Il est important de préciser que ces classes de qualité sont arbitraires et ne doivent pas être considérées comme des critères ou des normes.
Figure 1: Distribution des concentrations de butylétains dans les sédiments des lacs fluviaux
Figure 2: Localisation des secteurs du port de Montréal présentés à la figure 3
Figure 3: Distribution des concentrations de butylétains dans les sédiments du port de Montréal
Figure 4: Distribution des concentrations de butylétains dans les sédiments du tronçon fluvial et du secteur de Contrecœur
Figure 5: Distribution des concentrations de butylétains dans les sédiments des écluses de la voie maritime et du canal de Lachine
Constats
Le regroupement des résultats associés aux butylétains issus de différents projets de suivi et de recherche permet de dégager un portrait de la situation de ces contaminants pour l’ensemble du fleuve Saint-Laurent. Ainsi, pour les trois lacs fluviaux et le tronçon fluvial, à l’exception du secteur de l’archipel de Contrecœur, les sédiments sont peu ou pas contaminés par les butylétains. Le secteur de l’archipel de Contrecœur est un cas particulier puisqu’il présente de très fortes concentrations de butylétains dans les sédiments de surface, augmentant ainsi le risque d’effets sur les organismes benthiques dans un milieu naturel.
Les sédiments échantillonnés à l’intérieur des infrastructures portuaires (port de Montréal) et de navigation (chenal et écluses) et dans les zones d’activités récréatives comme les marinas, montrent des contaminations de butylétains beaucoup plus élevées que dans le fleuve. Cette contamination se présente principalement sous la forme de DBT et de TBT, notamment dans le secteur amont du port de Montréal, qui est le secteur le plus contaminé. La zone en aval du lac Saint-Pierre sera caractérisée pour les butylétains au cours des prochaines années.
Programme Suivi de l’état du Saint-Laurent
Quatre partenaires gouvernementaux – le ministère de l’Environnement du Canada, le ministère des Pêches et des Océans du Canada, l’Agence Parcs Canada, le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques – et Stratégies Saint-Laurent, un organisme non gouvernemental actif auprès des collectivités riveraines, mettent en commun leur expertise et leurs efforts pour rendre compte à la population de l’état et de l’évolution à long terme du Saint-Laurent.
Pour ce faire, des indicateurs environnementaux ont été élaborés à partir des données recueillies dans le cadre des activités de suivi environnemental que chaque organisme poursuit au fil des ans. Ces activités touchent les principales composantes de l’environnement que sont l’eau, les sédiments, les ressources biologiques, les usages et les rives.
Pour en savoir plus
- Bakke, T., T. Källqvist, A. Ruus, G.D. Breedveld et K. Hylland. 2010. Development of sediment quality criteria in Norway. J. Soils Sediments 10:172-178.
- Bartlett, A.J., U. Borgmann, D.G. Dixon, S.P. Batchelor et R.J. Maguire. 2005. Toxicity and bioaccumulation of tributyltin in Hyalella azteca from freshwater harbour sediments in the Great Lakes Basin, Canada. Can. J. Fish. Aquat. Sci. 62:1243-1253.
- Environnement Canada et ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec. 2007. Critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments au Québec et cadres d’application : prévention, dragage et restauration. 39 pages.
- Regoli, L., H.M. Chan, Y. de Lafontaine et I. Mikaelian. 2001. Organotins in zebra mussels (Dreissena polymor- pha) and sediments of the Quebec City Harbour area of the St. Lawrence River. Aquat. Toxicol. 53(2):115-126.
Rédaction :
- Magella Pelletier, Monitoring et surveillance de la qualité de l’eau, Environnement Canada
- Mélanie Desrosiers, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec, Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
- Serge Lepage, Division des activités de protection de l’environnement, Environnement Canada (maintenant à la retraite)
- Yves de Lafontaine, Division de la recherche sur la protection des écosystèmes aquatiques, Environnement Canada (maintenant à l’Institut Maurice-Lamontagne, Pêches et Océans Canada)
Nous tenons à remercier Mme Mylène Salvas de Parcs Canada pour les données du secteur du canal de Lachine.